Justice

Assassinat Thomas Sankara : « Bossobè Traoré n’était pas n’importe qui », selon le parquet

L’audience du procès sur l’assassinat de Thomas Sankara s’est poursuivie ce 3 novembre 2021 avec l’interrogatoire du prévenu Bossobè Traoré, accusé de complicité d’attentat à la sûreté de l’Etat et d’assassinat. Un deuxième et dernier jour d’audition pour l’ex-soldat de rang qui, droit dans ses bottes, a maintenu ses déclarations de la veille, niant toute implication dans la tragédie du 15 octobre 1987. Pour avoir bénéficié, suite aux évènements, d’une évacuation sanitaire à l’étranger et d’une indemnisation en 2004, le parquet estime que le mis en cause a plutôt joué un rôle clé dans l’affaire.

Bossobè Traoré a plaidé non coupable de la complicité d’assassinat et d’attentat à la sûreté de l’Etat (Ph. Internet)

«Ce n’est pas le moment des plaidoiries ». Plus d’une fois, le président du tribunal l’a rappelé à l’avocat de Bossobè Traoré, Me Maria Kanyili qui, saisissant l’occasion du temps des questions et observations à l’endroit de son client, a voulu démontrer par moult arguments que celui-ci n’est ni de près, ni de loin impliqué dans les évènements du 15 octobre 1987. Mais le jeu en vaut la chandelle, à écouter l’avocate de celui que la partie civile et le ministère public présentent comme la taupe au sein de la garde rapprochée du président Thomas Sankara au moment des faits.

On se rappelle qu’à l’audience de la veille, Bossobè Traoré a expliqué que le jour du crime, il s’est rendu au Conseil de l’entente, avec deux autres éléments, Der Somda et Gouem Abdoulaye, pour relever une équipe de garde avec à sa tête, Laurent Ilboudo. Parti de la résidence du président, le groupe a escorté ce dernier jusqu’au Conseil où il devait assister à une réunion. Et c’est au cours de cette réunion, toujours selon l’accusé, que le commando a fait irruption, puis s’en sont suivis des tirs mortels. Bossobè Traoré dit avoir été blessé au coude lors de cette opération dans laquelle ses deux compagnons, Der Somda et Gouem Abdoulaye ont été abattus par Arzouma Ouédraogo, alias Otis à l’aide d’un fusil à pompe. Sauvé par des étudiants dans sa fuite, l’accusé, selon son récit, s’est retrouvé par la suite à l’hôpital Yalgado Ouédraogo.

Avant de balayer du revers de la main ce qu’elle considère comme de simples allégations du parquet et de la partie adverse, Me Maria Kanyili a adressé une série de questions à son client. Figure au nombre de ces questions celle de savoir comment les éléments de la garde rapprochée du président Sankara communiquaient à l’époque. Et l’accusé de révéler que seuls les chefs de groupes disposaient de téléphones. De ce fait, un soldat de rang comme lui n’en possédait pas. De cette réponse, l’avocat a voulu faire observer une absence d’implication du mis en  cause.

43 jours à l’hôpital

Me Kanyili a par ailleurs souhaité que son client reviennent sur des déclarations faites la veille à propos des éléments de la garde de Thomas Sankara et ceux d’entre eux qui ont survécu aux évènements d’octobre 1987. « Etaient avec moi, Laurent Ilboudo ; So Drissa, Paténéma Soré, Noufou Sawadogo, Wallilaye Ouédraogo, Der Somda, Abdoulaye Gouem, Alphonse Tuina, Claude Zidwemba…», a listé le mis en cause qui a précisé, à la demande de son conseil, que tout comme lui, Laurent Ilboudo, Tuina Alphonse, Claude Zidwemba et Drissa So ont survécu aux évènements. Ces précisions en main, Me Kanyili fait observer que son client est le seul survivant à être impliqué dans le dossier.

Un autre argument battu en brèche par la défense est celui qui soutient que Bossobè Traoré a bénéficié d’une évacuation sanitaire en France pour son rôle joué dans le coup du 15 octobre 1987. Un argument discutable selon Me Kanyili qui, à travers des questions soumises à son client, a fait ressortir que ce dernier a passé 43 jours à l’hôpital Yalgado Ouédraogo, à Ouagadougou, avant d’être envoyé en France suite à la décision d’une commission de santé mise alors en place. Pour Me Maria Kanyili, l’ex-garde rapproché de Thomas Sankara aurait été immédiatement évacué si son rôle, tel que soutient l’accusation, était véritablement établi. A ce sujet, le parquet estime que si l’évacuation a attendu 43 jours, c’est plutôt parce que les frontières sont restées longtemps fermées après le coup et que les commanditaires du putsch étaient plus préoccupés par la consolidation de leur pouvoir. Mieux, les fonds ont été levés presque au même moment que la décision de la commission sanitaire, et un ordre de mission établie par les autorités d’alors.

Outre la « faveur de l’évacuation » dont il a bénéficié, Bossobè Traoré a été indemnisé en 2004, suite à la Journée nationale du pardon, un autre avantage qu’il a obtenu selon le parquet militaire qui a conclu que l’ex-commando « n’était pas n’importe qui » aux yeux de ceux à qui le crime a profité.

A la charge de l’accusé, le ministère public s’est attardé sur un détail jugé important : l’arme du crime. Si celui qui a terminé sa carrière militaire en tant que sergent soutient que c’est un fusil à pompe qu’a utilisé Otis pour abattre ses deux compagnons, il y a de quoi douter de la sincérité de ses déclarations selon le parquet et les avocats de la partie civile. Car, à la lumière de l’expertise balistique, c’est plutôt des balles de type 7,62 mm qui ont été utilisées sur le théâtre de l’assaut; loin de correspondre aux balles d’un fusil à pompe, a relevé le parquet.

Alidou Diébré convoqué à la barre

De quoi semer par ailleurs le doute, le ministère public s’est appuyé sur le rapport du Centre national d’entraînement commando (CENEC) qui précise que Bossobè Traoré a été atteint au bras par une balle qui a traversé l’avant-bras. Chose que le parquet juge invraisemblable par rapport à la position qui était celle du mis en cause le jour du drame, lui qui a soutenu avoir reçu la balle étant couché.

Passé l’interrogatoire de Bossobè Traoré, c’était le tour de l’accusé Pascal Albert Belemlilga de se présenter à la barre. Mais une requête d’un avocat de la défense à suffi pour renvoyer ce passage à une date ultérieure. En effet, selon l’avocat requérant, l’accusé Belemlilga pourrait, dans ses déclarations charger un autre, en l’occurrence Tibo Ouédraogo qui n’est pas présent, car souffrant, selon son conseil. Contre la volonté de la partie civile qui a marqué son refus de voir chambouler l’ordre de passage des accusés, le tribunal a accédé à cette requête. Ainsi, à la place de Pascal Albert Belemlilga, Alidou Diébré sera le cinquième prévenu à se présenter à la barre, lui qui est connu comme celui qui établit un certificat de décès de Thomas Sankara avec la mention « mort naturelle ».

Suspendue, l’audience reprend le jeudi 4 novembre à 9 heures à la Salle des banquets.

Bernard Kaboré

Le Noiro et son porte-monnaie souvenir de Thomas Sankara

lorsque son conseil, Me Maria Kanyili lui a demandé si 34 ans après il regrette la mort de Thomas Sankara, l’accusé Bossobè Traoré a répondu par l’affirmative.
Comme une perche qui lui a été tendue, ce fut l’occasion pour l’ancien commando de raconter un souvenir et d’exprimer son regret par une anecdote vielle du temps où le regretté leader de la Révolution burkinabè était premier ministre : « De retour de son premier voyage au Niger, Thomas Sankara m’a offert un portefeuille. Il m’a trouvé avec d’autres camarades et m’a interpellé en ces termes, « le Noiro », puis m’a fait signe de venir et il m’a remis un présent, un portefeuille. Depuis, en souvenir du président, j’ai gardé cet objet, bien qu’il ait à présent subi l’usure du temps.
B.K.

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