Justice

Assassinat Thomas Sankara : « C’était indépendant de notre volonté », Gilbert Dienderé

S’il y a un accusé que toutes les parties au procès des coupables présumés de l’assassinat de Thomas Sankara et de ses douze compagnons d’infortune ne se lassent d’interroger, c’est bien le général Gilbert Diendéré qui a comptabilisé, ce jeudi 11 novembre 2021, son troisième jour d’audition.

L’avocat de Gilbert Diendéré, Me Paul Kéré, a demandé que l’on juge le jeune lieutenant qu’il était en 87 et non le général qu’il est aujourd’hui

C’est le parquet militaire qui a ouvert le bal des questions ce jeudi matin, insistant sur certains détails pour établir la culpabilité du général Gilbert Dienderé dans les évènements du 15 octobre 1987. Au cours de ce nouvel interrogatoire, le ministère public a demandé à l’officier général, accusé d’attentat à la sûreté de l’Etat, de complicité d’assassinat, de recel de cadavres et de subornation de témoins, de se prononcer sur des propos qui lui sont attribués dans le livre « Sankara, Compaoré et la révolution burkinabè » de Ludo Martens. Il y aurait déclaré que l’assassinat de Sankara est une arrestation qui a mal tourné et que les hommes se sont déchainés. À cela, le général a indiqué qu’il ne savait pas, en échangeant avec l’auteur de l’ouvrage, qu’il s’agissait d’une interview. Pour lui, ce n’était rien d’autre qu’une conversation à bâton rompu. À la question de savoir qu’est-ce qu’il ne reconnaît pas dans la retranscription desdits propos, l’accusé a déclaré qu’il ne lui aurait pas parlé s’il avait connu ses objectifs. Pour lui, en tant que militaire, il doit avoir un devoir de réserve. Au parquet donc de soutenir que ces propos étaient peut-être vrais mais qu’il n’aurait pas voulu qu’ils ressortent dans une publication. « Ce qui est vrai, c’est ce que je dis depuis le début de mon audition », a répondu le général.

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Plusieurs autres questions ont été posées à l’accusé :

Quel est le sort qui a été réservé aux éléments de la sécurité de Sankara qui n’étaient pas présents et qui n’ont donc pas été tués ce jour-là ?

La plupart d’entre eux ont fui après l’assassinat du président et des douze autres.

Quelle a été la suite de leur carrière ?

Compte tenu du fait qu’ils étaient tous du CNEC (Centre national d’entraînement commando), certains ont été affectés et d’autres sont restés jusqu’à la dissolution du corps.

Pensez-vous avoir failli à votre mission de chef militaire ?

Il y a eu un drame qu’on n’a pas pu éviter, donc forcément on a un pincement au cœur, surtout que les évènements ont eu lieu dans une caserne qui était sous notre commandement.

Peut-on retenir qu’il y a eu un manquement quelque part ?

Ce manquement ne relève pas de moi. Et cela ne veut pas dire que nous n’avons pas pris toutes les dispositions. C’était indépendant de notre volonté.

Après les réponses de l’accusé sur le piquet de sécurité au Conseil de l’entente qui ne pouvait agir qu’en cas d’agression étrangère, le parquet a conclu que cela a été fait à dessein. Et de préciser que le chef de corps adjoint du CNEC qu’il était a pu prendre des décisions pour faire venir un renfort de Pô afin de renforcer la sécurité du Conseil après l’attaque sans en référer à son chef direct mais quand il s’agit de prendre des sanctions contre le commando qui a agi, il dit que ce n’était pas de sa responsabilité vu qu’il avait rendu compte, selon lui, à ses supérieurs.

« Il y a des sankaristes parmi les avocats de la défense »

Prenant la parole en tant qu’avocat de la défense, Me Paul Kéré s’est d’abord incliné devant la mémoire du président Thomas Sankara et de ses douze compagnons d’infortune. « Je voudrais assurer à madame Sankara qu’il y a des sankaristes parmi les avocats de la défense », a-t-il souligné avant d’ajouter que certaines observations du parquet le laissent dubitatif. En effet, selon ses explications, personne ne devrait penser que les mesures prises par son client, en l’occurrence le général Dienderé, auraient pu arrêter Hyacinthe Kafando et ses hommes. « Croyez-vous qu’il était fouillé comme tout autre citoyen quand il arrivait aux portes du Conseil, lui qui était comme un Dieu en ces lieux ? », s’est interrogé l’avocat aux Barreaux de Nancy et du Burkina avant de conclure que même les hommes de la sécurité étaient au garde-à-vous. Pour lui, il ne faut pas juger Gilbert Dienderé en tant que général de brigade qu’il est aujourd’hui avec toute la maturité qu’il a acquise au cours des années mais de juger plutôt le jeune lieutenant de 35 ans qu’il était en 87.

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Me Paul Kéré, avocat de la défense

A sa suite, plusieurs autres avocats ont pris la parole pour poser des questions à l’accusé et faire des observations tendant à le disculper ou à blanchir leur client. C’est ainsi que Me Dabo Abdoul Latif a demandé au général si c’est lui qui a demandé à la sécurité de Sankara de déposer leurs armes, de s’adosser à des arbres pour causer et d’être surpris en cas d’attaque. « Pourquoi je le ferais ? Ce sont des gardes du corps et ils doivent prendre toutes les dispositions pour parer à toute agression éventuelle », a-t-il répondu. A la question de savoir si c’est lui qui a désigné le lieutenant Omar Traoré pour aller lire la déclaration du Front populaire, l’accusé a indiqué que ce serait Blaise Compaoré qui l’aurait fait, selon ce qu’il a entendu dire par la suite.

Thomas Sankara n’était pas un saint

L’une des interventions qui a suscité des murmures dans la salle des banquets de Ouaga 2000 ce jeudi matin est sans conteste celle de Me Mamadou Sombié, avocat du soldat de première classe Nabonswendé Ouédraogo, accusé d’assassinat et de complicité d’attentat à la sûreté de l’Etat. Le moins que l’on puisse dire, c’est que son objectif était de prouver un fait à savoir que le leader de la Révolution burkinabè et panafricaniste, n’était pas un saint. Pour lui, la décennie 80-90 était une période ensanglantée et le CNR (Conseil national de la révolution) avait un ADN criminel. « Il y a eu des assassinats sous le magistère de Thomas Sankara », a soutenu l’avocat. Et pour le démontrer, il a cité des faits ou des noms de personnes disparues (colonel Nezien Badimbié, colonel Yorian Gabriel Somé, commandant Amadou Sawadogo, l’incendie de L’Observateur Paalga, etc.) pour demander à l’accusé de le situer sur les conditions dans lesquelles ces évènements ont eu lieu ou comment ces hommes ont été tués. Mais avant qu’il ait le temps de terminer sa liste, Me Sombié sera interpelé par le président de la Chambre sur l’objectif de ces questions puisque l’accusé était visiblement très gêné d’y répondre. C’est ainsi qu’après les observations de l’avocat, le tribunal ainsi que le parquet par la suite lui feront remarquer qu’il ne s’agit pas de faire le procès de Thomas Sankara mais de juger les auteurs de son assassinat.

Comme mot de fin, le général Gilbert Diendéré a indiqué qu’il était satisfait que le ministère public, la partie poursuivante de ce procès, lui ai donné l’occasion de se tenir à la barre pour expliquer qu’il n’était pas le chef du commando qui a exécuté le président Thomas Sankara et ses hommes comme certains l’ont toujours pensé, qu’il n’était pas impliqué de quelque manière que ce soit dans ce projet et qu’il n’était pas sur les lieux au moment de l’assaut.

L’audience a été suspendue un peu avant 14h. Elle reprendra le lundi 15 novembre prochain avec la comparution des deux derniers accusés à savoir Belemlilga Albert Pascal Sibidi, adjudant-chef à la retraite en service à l’EMC au moment des faits et Démé Diakalia, adjudant-chef major à la retraite également en service à l’EMC au moment des faits. Ils sont tous deux poursuivis pour complicité d’attentat à la sûreté de l’Etat.

Zalissa Soré

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