Société

Adama Conseiga: Le handicapé visuel qui vend des unités

Il incarne tout le sens du vocable « combativité ». Adama Conseiga, c’est de lui qu’il s’agit, a perdu la vue depuis quelques années. Mais cet adolescent n’a pas pour autant  perdu tout espoir de se réaliser dans la vie. L’élève de la classe de 6e s’est trouvé un gagne-pain qui occupe ses temps libres. La canne dans une main, une pancarte de vente de crédits de communication dans l’autre, il est le marchand ambulant qui ne passe pas inaperçu dans différentes artères de Ouagadougou. Nous l’avons rencontré le 27 mai 2020.

Adama Conseiga nourrit l’espoir de pouvoir ouvrir un jour une agence dédiée à son commerce

Observer sa marche guidée par la canne dans l’une de ces grandes rues de la capitale finit par vous… couper le souffle surtout lorsque la circulation est dense. Si ce n’est pas un motocycliste imprudent qui l’évite de justesse, c’est le klaxon retentissant d’un automobiliste ou le cri alarmant d’un inconnu qui ne manque pas de désorienter Adama Conseiga. Ces risques de la circulation, le pensionnaire du centre d’apprentissage de l’UN-ABPAM (Union nationale des associations burkinabè pour la promotion des aveugles et malvoyants) les frôle au quotidien depuis que les classes sont fermées pour cause de coronavirus. Il s’est investi pleinement dans ce travail qu’il a l’habitude de faire pendant les vacances depuis quelques années : la vente de crédits de communication. Une vente à la criée qui l’amène à se déplacer constamment.

Nous l’avons rencontré au bord du Boulevard de l’Insurrection,  sous un soleil déjà cuisant. La canne dans la main droite et dans la gauche, une pancarte à l’effigie des maisons de téléphonie et sur laquelle sont inscrites les numéros servant aux opérations, la jeune silhouette de 18 ans retient l’attention de plus d’un passant. Lorsqu’il plie son bâton-guide, le physique bien bâti du jeune homme cache son handicap qui n’est plus perceptible que par des gestes mesurés ou encore les yeux barrés de lunettes noires.

 

Pour le jeune Adama, le handicap n’est aucunement une entrave majeure à son gagne-pain. Et nous l’avons vu à l’œuvre, quand un client vient lui solliciter un transfert de 500 F d’unités. Sans difficulté ni erreur, l’opération est effectuée avec succès, en à peine une minute alors qu’Adama n’a utiliser que le sens du toucher pour reconnaître les touches du petit téléphone dédié qu’il manipule avec dextérité. De quoi impressionner l’acheteur.

La cécité, Adama l’a rencontrée il y a environ six ans. Mais celui dont le handicap a freiné le cursus scolaire se souvient que tout a commencé en 2012 : « Suite à une maladie, j’ai commencé à perdre la vue quand j’avais douze ans. En son temps, je faisais la classe de CE1. Je m’efforçais de suivre les cours. Mais au CE2, j’étais plus maladif et la vue me lâchait sérieusement. J’avais toujours été parmi les plus brillants élèves mais mon niveau a pris un coup. J’ai dû rester deux ans à la maison avant d’intégrer plus tard une école adaptée pour l’apprentissage de l’écriture en braille. C’était difficile pour les parents qui manquaient de plus en plus de moyens pour les soins et la scolarité. Dieu voulant, les douleurs ont fini par me quitter ».

De cet épisode naîtra l’idée d’entreprendre. « Ne voulant pas rester à la maison à ne rien faire, je fais du petit commerce pendant les vacances. J’ai d’abord commencé par vendre du savon liquide, moyennant un bénéfice de quelques 50 francs par bidon.»

Par la suite l’idée de vendre des unités a germé à l’Ecole des jeunes malvoyants. « Entre pensionnaires, nous aimions manipuler les téléphones et nous nous amusions surtout à nous envoyer des unités les uns aux autres. J’ai fini par réaliser que je pouvais en faire un gagne-pain, d’autant que les parents n’arrivaient pas à satisfaire certains  de mes besoins. Après l’obtention du CEP, je m’y suis lancé à la faveur des vacances », relate celui qui  dit avoir démarré son activité avec 5 000 F CFA offerts par un oncle.

A travers son activité, l’adolescent en situation de handicap dit pouvoir subvenir à certains besoins sans grande difficulté. « Je n’ai pas besoin de l’aide de mes parents pour me nourrir et j’arrive à honorer quelques petites dépenses », se réjouit-il, tout en se gardant de dévoiler son chiffre d’affaires. Mais au départ, se rappelle-t-il, ses parents étaient réticents à l’idée qu’il se jette dans cette activité aux risques évidents à cause de la circulation routière.

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Des ambitions, le brillant pensionnaire de l’ABPAM n’en manque pas. De la vente à la criée, il espère un jour ériger une agence dédiée à son commerce. Mais en attendant, il a initié un projet qui consiste à la création d’un petit réseau de vendeurs de crédits uniquement ouvert à d’autres adolescents en situation de handicap. Par ce réseau, qui ne compte pour l’instant que deux membres, Adama voit un créneau de promotion de entrepreneuriat de jeunes en situation de handicap visuel, mais aussi porter haut le message selon lequel le handicap n’est pas une fatalité.

Bernard Kaboré

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