Société

Souleymane Ouédraogo : la vie d’un juriste handicapé visuel

Souleymane Ouédraogo a perdu la vue à l’âge de huit ans, lors d’une épidémie de rougeole. Mais contrairement à plusieurs enfants de son âge, le natif de Minimdouré ne s’est pas laissé gagner par le découragement. Premier élève handicapé visuel à intégrer une école ordinaire, puis l’université de Ouagadougou, il s’est ensuite battu pour entrer dans la fonction publique, alors même que le système a tout fait pour le recaler. Actuellement en service au ministère des Droits humains et de la Promotion civique, l’homme se bat pour une meilleure inclusion des personnes vivant avec un handicap. Pour mieux connaître l’histoire de ce père de famille, nous l’avons rencontré courant février 2020.

Assis derrière son bureau, Souleymane Ouédraogo a le regard plongé sur son ordinateur. Ecouteurs enfoncés dans les oreilles, toute son attention semble être portée sur la tâche qu’il accomplit. En apparence, rien ne nous indique que cet homme, à l’allure soignée, ne voit rien de ce qui l’entoure. Pourtant, l’attaché en études et analyse au ministère des Droits humains et de la Promotion civique nous a bien entendu approcher, tournant instinctivement les yeux vers nous lorsqu’il entend le son de notre voix. Tout de suite, il sait de qui il s’agit. Après les salutations d’usage, l’homme qui arbore fièrement un ensemble Faso danfani bleu nous donne la place en nous indiquant une chaise posée à sa gauche. C’était parti pour une heure de questions réponses, une manière pour nous de retracer l’histoire de cet homme qui, malgré les obstacles, a su sortir la tête de l’eau.


En effet, après sa naissance le 3 août 1975 à Ouagadougou, Souleymane a passé les premières années de sa vie à Minimdouré, une bourgade située à 15 kms de Gourcy. Son cursus scolaire s’annonçait sans écueil. Mais, en 1983, une épidémie de rougeole fait des ravages dans le pays. Le village du petit Soulé, alors âgé de 8 ans, n’en sera pas épargné. Pis, lui-même sera touché par cette maladie infantile.

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En usant de produits traditionnels, sa famille arrive à lui sauver la vie. Cependant, le garçon perdra à jamais la vue malgré la médecine moderne à laquelle il fait plus tard recours. Et puisque la vie doit continuer, l’enfant sera inscrit, en 1986, dans la première « école pour enfants aveugles » initiée par la sœur Jeanine Gleuro à la cathédrale à Ouagadougou. Compté ainsi parmi les premiers apprenants de cet établissement, Souleymane Ouédraogo va y découvrir le braille qui lui donne la possibilité d’apprendre à lire et à écrire.

Les premières difficultés ont été rencontrées au Lycée Philippe Zinda Kaboré où certains professeurs ont voulu l’expulser dès le premier jour

En 1988, l’école estime qu’il possède les aptitudes nécessaires pour interagir avec les autres enfants. Il devient donc, comme il le dit lui-même, le premier élève aveugle à intégrer une école ordinaire, en l’occurrence celle de Koulouba, son quartier d’habitation. Il y obtient le CEP (Certificat d’études primaires). Avec l’entrée en 6e, il est affecté au Lycée Philipe Zinda Kaboré comme il le souhaitait.

Certains professeurs de l’époque ne voulaient pas adapter leur devoir à son handicap

A ce moment-là, le jeune adolescent ne s’est pas, une seule seconde, imaginé que le terrain pourrait s’avérer glissant. En effet, estimant que le système scolaire de l’époque n’était pas adapté à une personne de sa condition, certains responsables de l’institution ont souhaité qu’il fût purement et simplement renvoyé. C’était sans compter sur la bonne étoile de Soulé qui sera sauvé de justesse par un expatrié, un professeur de mathématiques qui le défendra contre vents et marrées.

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L’administration accepte finalement de le garder mais à condition qu’il obtienne 12/20 de moyenne au premier trimestre. « Lorsque j’ai réalisé cette performance, le proviseur s’est déplacé dans ma classe avec son staff pour me féliciter et c’est ainsi que j’ai pu poursuivre mon cursus jusqu’à l’obtention de mon baccalauréat série A4 », nous lance-t-il avec une fierté non voilée. Notre interlocuteur sera ensuite orienté à l’UFR (Unité de formation et de recherche) sciences juridiques et politiques de l’université de Ouagadougou. Là aussi, il a fallu batailler dur.

A en croire son récit, certains professeurs de l’époque ne voulaient pas adapter leur devoir à son handicap, arguant qu’il n’y a pas de sous diplôme. Ce qu’il faut savoir, c’est qu’à la même période, précisément en 1998, le jeune homme perd sa mère, puis son papa l’année d’après. Il se réfugie alors dans les bras aimants de sa grand-mère qui finit elle aussi par le quitter en 2003. Soulé se résout donc à prendre son indépendance et rejoint la cité universitaire de Zonga dont il se rappelle avec nostalgie et émotion : « J’étais dans le bâtiment 4, dans la chambre 14 dont la fenêtre faisait face à l’UFR sciences juridiques et politiques ».

« On m’a refusé le droit de prendre part au concours de la magistrature »

L’histoire retiendra qu’il a quitté le campus avec une maîtrise en droit des affaires, entre 2005 et 2006. Si le jeune diplômé croyait trouver facilement un job, eh bien, il se mettait le doigt dans l’œil. Décrocher un emploi a été pour lui un défi de plus à relever car, il a du se battre, pendant plus de quatre ans, contre l’administration. « On m’a refusé le droit de prendre part au concours de la magistrature. En 2007, mon dossier a été rejeté, pareil en 2008. Raison pour laquelle j’ai saisi la presse l’année qui a suivi », nous explique le juriste. Mais ce n’est qu’à 24h des examens qu’il a été autorisé à composer. « Je n’ai pas réussi au concours puisque j’avais passé tout mon temps à me battre au lieu de réviser », se plaint-il, indiquant que le pis était à venir : En 2010, les autorités, selon lui, vont tout mettre en œuvre pour le recaler puisqu’elles exigent, à partir de cette année-là, que le candidat ait une acuité visuelle de 10/10.

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Sans perdre espoir, le jeune homme commence à écrire aux membres du gouvernement. C’est finalement le Premier ministre himself, Luc Adophe Tiao, qui introduit son dossier à la fonction publique auprès du ministre de tutelle de l’époque, Soungalo Apollinaire Ouattara. Recruté au compte dudit département la même année, il demande une affectation et rejoint en 2012 le ministère des Droits humains et de la Promotion civique.

Pendant un bref moment, il prend confiance et ose croire qu’il peut montrer de quoi il est capable et gravir les échelons comme tout autre citoyen burkinabè. Seulement, avec le départ du ministre, le Pr Albert Ouédraogo, Soulé sera réaffecté au Centre d’écoute et de documentation comme attaché en droit, en études et analyse. Une place qu’il occupe encore aujourd’hui alors « qu’on lui avait fait croire, lui qui voulait aller à la direction de suivi des accords, que son passage dans ce service serait bref.

https://soundcloud.com/lobs-numerique/exploit-de-soule-au-football

Malgré le handicap, Soulé a fait des exploits au football

Mais n’empêche, notre interlocuteur se réjouit de ce qu’il a déjà pu accomplir. Et si l’on en croit ses explications, il y a une chose qui l’a poussé à se battre autant : il s’agit des moqueries et de la marginalisation dont il a été l’objet de la part des enfants de son âge. Pour lui, il fallait montrer un autre visage de sa personne sans compter que la sœur Jeanine leur disaient à « l’école des aveugles » de se battre dix fois plus pour être comme les autres.

Aux Nations unies où il a fait une déclaration au nom des pays du Sud

Aujourd’hui secrétaire général de l’Union nationale des associations pour la promotion des aveugles et malvoyants (UN-ABPAM) et secrétaire général du Réseau national des organisations de personnes handicapées, il participe à proposer des lois pour rendre le système inclusif, surtout en cette période de Covid 19 où elles ne se sentent pas suffisamment impliquées. Grâce à son combat, les autorités ont envisagé, à partir de 2012, le recrutement des personnes handicapées. Depuis, on dénombre plus de 40 fonctionnaires aveugles. En septembre dernier, Souleymane Ouédraogo était aux Nations unies où il a fait une déclaration au nom des pays du Sud.

Zalissa Soré

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