Tribune

Vie chère, bonne gouvernance et salaire des ministres au Burkina : l’indignation à géométrie variable des ‘’censeurs de la République’’

Moins de 6 mois après son avènement, le MPSR et son gouvernement sont en proie à de vives critiques. Fini le délai de grâce, vive les critiques acerbes de ceux  qui veulent en découdre maintenant ou qui préparent déjà les élections de l’après transition. Le président Damiba et son gouvernement doivent donc faire face à une marée de réprobations qui vont des accusations de restauration du pouvoir de Blaise Compaoré, à l’incapacité à redresser la situation sécuritaire, en passant par le pillage des deniers publics, l’incompétence, etc.

Pourquoi ces dénonciations ? Certaines relèvent d’un étonnement voire d’une colère citoyenne légitime. D’autres, d’une opposition réfléchie, coordonnée avec un objectif avoué en coulisse, faire tomber le MPSR, et le plus tôt serait le mieux. Il y a donc un enjeu de pouvoir sous-jacent aux critiques actuelles sur les salaires des ministres.  

Le présent point de vue est une interpellation citoyenne pour dire aux partis politiques, aux organisations de la société civile, aux Burkinabè de bonne volonté de prendre garde à jeter le bébé avec l’eau du bain. L’éternel recommencement dans un bégaiement à enraciner des institutions républicaines fortes est un danger pour le pays déjà éprouvé par l’insécurité chronique. Disons-le naïvement en basant nos appréhensions sur les amalgames persistants à propos des salaires actuels des membres du gouvernement.

Des acquis de l’insurrection populaire, il ne reste qu’un slogan d’opposition au pouvoir actuel

Que peut-on relever de positif mais surtout de négatif dans le débat actuel au sujet des salaires de nos ministres ?

Le premier point positif à ce propos, c’est la volonté exprimée par les mécontents à travers les médias et les réseaux sociaux  pour une bonne gouvernance de l’Etat. Cela commence, certes par les sacrifices que doivent consentir les plus hautes autorités dans l’exercice de leurs charges mais pas par des privations à elles imposées pour des économies de bout de chandelles.

Le second point positif, c’est que même sous le régime d’exception du MPSR, la liberté d’expression et notamment celle des médias reste forte, assumée et respectée. En effet, c’est par la presse que les émoluments des membres du gouvernement ont été révélés au grand public et c’est toujours par les médias, classiques ou numériques, que les commentaires s’expriment sur le sujet. On en déduit que  la presse au Burkina, sous le régime actuel, demeure libre et joue véritablement un rôle de contre-pouvoir.

Pour le côté négatif des critiques sur les salaires de nos ministres, il y a quatre aspérités lisibles à travers l’indignation à géométrie variable de nos prétendus censeurs de la République ; le caractère populiste de leurs récriminations, leur nature de dénigrement et enfin leur contenu contreproductif pour la paix sociale dont le pays a tant besoin.

 ‘’La femme de César doit être au-dessus de tout soupçon ‘’. Cette expression archi-connue date du dernier siècle avant Jésus Christ, et renvoie au fait que l’empereur romain Jules César renvoya sa 3e épouse à cause de rumeurs d’infidélité. Elles se révélèrent injustifiées. Mais pour l’empereur, l’innocence de la pauvre dame, ne suffisait pas à sauver son foyer. L’existence même de la rumeur sur son infidélité était une faute impardonnable.

Aujourd’hui cette expression s’utilise pour signifier que les institutions de l’Etat doivent être irréprochables, notamment en république. Au-delà des institutions, les autorités qui les animent ne doivent pas seulement être honnêtes, elles doivent encore avoir l’air d’être honnêtes. Justement, dans ce débat sur le salaire des ministres, les contempteurs du régime du MPSR mettent en avant, trop en avant, ‘’l’air d’être’’, c’est-à-dire les apparences, les ‘’ on dit ‘’,  donc les rumeurs. Peu importe que le gouvernement soit honnête et communique honnêtement sur le sujet, pour ses pourfendeurs, il faut provoquer le divorce entre les Burkinabè et le régime du MPSR.

Vives donc les rumeurs,  à bas  Damiba et son gouvernement qui disent honnêtement qu’aucun ministre n’a négocié son salaire, qu’il y en a qui perdent de la moitié aux 2 /3 de leurs revenus ; qu’un mécanisme de revalorisation était à l’étude sous le précédent régime ; que des efforts sont faits pour la réduction du train de vie de l’Etat. Rien à faire. Les pêcheurs en eau trouble, véritables opportunistes, qui rêvent d’une seconde insurrection mettent les bouchées doubles pour créer la rupture de pouvoir, ici et maintenant. Alors  tout y passe : les cours d’histoire tronqués sur les salaires des anciens présidents, les comparaisons extra contextuelles sur le coût de la vie, les procès d’intention, etc.

Prenons l’exemple du président Lamizana qui avait officiellement 500.000Fcfa par mois en 1966 : oublions le coût de la vie à l’époque et la dévaluation du FCFA intervenue en 1994, pour retenir qu’au final, en 14 ans de pouvoir, c’est une ardoise de près de 250 milliards de FCFA de détournements que les TPR ont imputé à ses gouvernements successifs. Et l’exemple du colonel Saye Zerbo qui avait officiellement 400. 000 FCFA par mois. Revisitons son procès TPR et le scandale des pierres à lécher, celui du placement des fonds de la CNSS, etc. Là aussi c’est environ 8 milliards de détournement en moins de 2 ans de pouvoir que les TPR ont reproché au président Saye Zerbo. Le président Roch Kaboré avait officiellement moins de 2, 5 millions de FCFA  par mois mais si les limiers de l’ASCE faisaient un audit  de la présidence, de l’Assemblée nationale, du ministère de la Défense, des Infrastructures, des contrats miniers, de la mairie de Ouagadougou, etc. nous serions édifiés par le peu d’orthodoxie financière qui y a régné. Que dire du scandale du prêt faramineux de 9 milliards de FCFA accordé avec les bénédictions du président Kaboré par une banque de la place à un de ses proches ! Cette banque est majoritairement financée par des fonds publics. Dans leur approche à géométrie variable de la bonne gouvernance, nos censeurs de la république oublient d’en parler, se focalisant sur les salaires actuels des membres du gouvernement. Sous la gouvernance du régime précédent, quels acquis restaient-ils de l’insurrection populaire qu’il faille préserver aujourd’hui ? Rien, à part un slogan de contestation du pouvoir actuel.

On peut malheureusement multiplier les exemples de mauvaise gouvernance où les institutions et les autorités qui en avaient la charge n’ont  pas été au-dessus de tout soupçon. Mais gardons-nous de remuer le couteau dans ces vieilles plaies. Elles vont saigner, et les mêmes ‘’lanceurs d’alertes’’ qui se plaignent des salaires de nos ministres, crieront à la chasse aux sorcières et Tutti quanti. Plus grave, remuer ces vieilles casseroles nous éloigne de l’objectif du pardon et de la réconciliation nationale auquel nous croyons, naïvement.

Cheick Amidou Kane soutient dans son célèbre roman, l’aventure ambigüe,que ‘’ tant qu’il y aura de l’avenir, toute vérité sera partielle, la vérité se place à la fin de l’histoire.’’ Rapporté au contexte du débat sur les salaires de nos ministres, cela revient à dire que la vérité des augmentations de leurs émoluments au vu et au su de tous est préférable à ces scandales de détournements pharaoniques que l’on découvre en fin de mission de nos gouvernants.

En conclusion, il ne faut pas confondre sacrifice et privations. Demandons au gouvernement de transition des sacrifices, perdre ½ à 2/3 de son salaire d’avant strapontin ministériel, c’est assurément un sacrifice. N’exigeons pas d’eux des privations qui en feraient des ministres misérabilistes. Nous jugerons mieux de leur intégrité, non pas avec les soupçons actuels, mais quant à la fin de la transition nous aurons un pays aux frontières sécurisées, des élections transparentes et  des audits de ministères et autres institutions qui nous épargnent du pillage à grande échelle portant sur des dizaines voire des centaines de milliards de FCFA. Croisons les doigts pour cela.

Yelmingha Ezéchiel Kambiré

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