Culture : Jean Tapsoba alias Bouzous, un pionnier de la musique burkinabè à « dépoussiérer » et « redépoussiérer »
Il a marqué la scène musicale de la Haute-Volta, de 1965 à 1977. Et ce au rythme de sa guitare. Lui, c’est Jean Auguste Marie Joseph Olga Tapsoba, alias Bouzous. Celui qui a fait équipe avec Georges Ouédraogo et Moustapha Thiombiano a été membre du groupe ATIMBO en 1965, membre fondateur des groupes : les BOOZOOS(BOUZOUS) en 1966, les FINGERS en 1967, des DJNAHOUROUX en 1969, du groupe Mythiques les BOZAMBO en 1973 et du CVD (Club Voltaïque du disque) en 1977. A 72ans, en dépit du poids de l’âge, et de sa tension, c’est un Bouzous, que nous avions trouvé dans la matinée du 9 octobre en pleine rédaction d’un mémoire sur sa vie d’artiste. C’est d’ailleurs sur ce sujet qu’il nous a accordé cette interview.

Jean Tapsoba, alias Bouzous, dites-nous que signifie Bouzous et pourquoi ce surnom ?
(Sourire) Bouzous a été le nom de mon premier orchestre moderne en Haute-Volta. Je suis le seul du groupe qui a continué à faire de la musique officiellement, et comme l’orchestre s’appelait les Bouzous et que je suis le survivant du groupe, le nom m’a été attribué. Bouzous, c’est feu Moustapha Thiombiano qui a trouvé le nom Bouzous, parce que cela sonne bien, sinon c’est Bozo, le nom initial de mon premier orchestre, Bozo comme le nom de la tribu des pêcheurs émérites en Afrique (Mali)

Comment êtes-vous arrivé dans la musique ?
Dès mon jeune âge. Mes parents étaient musiciens. C’est eux qui ont créé l’Harmonie voltaïque en 1948. Il s’agit de mon père, Tapsoba Prosper, et de son grand frère, Tapsoba Pierre. Moi, j’aimais la musique. Mon école a consolidé cette vocation. J’étais dans une école royal militaire en Sorèze (France) en 1959, dirigée par des dominicains. Là-bas on enseigne toutes les disciplines : musique, théâtre, éducation, etc. Chaque année, je venais en vacances en Haute-Volta. En 1963 quand je suis rentré, je ne suis plus reparti parce que, pour des raisons politiques, mon père avait été emprisonné au camp Guillaume.
Vous aviez musicalement évolué en groupe ? Parlez-nous-en ?
En fin de compte j’ai évolué avec Moustapha Thiombiano, depuis les années 1965. Tout a commencé avec ATIMBO, qui est un orchestre de jeunes et qui jouait la musique congolaise et cubaine. Arrivé en Europe, avec la mode de Yéyé dans les années 60, je jouais du classique, notamment les sonorités rythme en blues (Rock, tzist, slows,etc). C’est de là que j’ai été déniché par Moustafa Thiombiano. Il avait déjà un groupe, avec Herman Yaméogo, le fils de Maurice Yaméogo, premier président de la Haute Volta, les Sun-boys, en 1963. Le groupe s’est disloqué et Moustapha m’a appelé dans son groupe parce que je jouais la musique Yéyé comme eux. Ainsi, naîtra le groupe Boozoos avec l’ancien directeur de l’hôtel Indépendances, Naabyoure Jean Claude, qui était à la guitare solo, Moustapha, à la batterie, moi c’est la guitare basse, et y avait un bobolais Bâ Diallo dit moustique à la guitare rythmique.
Ma spécialité c’est la guitare basse. Je suis un accompagnateur également. Mais quand il s’agissait de jouer pour les Boozoos, j’étais instrumentaliste et chanteur. Après Moustapha a été emprisonné puis libéré, il est allé amener Jimmy Hyacinthe et Rato Venance, tous deux des ivoiriens et on a créé les Djinahouroux (génie en dioula). Le groupe a connu quelques difficultés, notamment des mésententes entre Jimmy et Moustapha. Cela entraina sa dislocation.
Lobs numérique · Jean Tapsoba dit Bouzous revient sur son parcours avec George Ouédraogo
Ma spécialité c’est la guitare basse. Je suis un accompagnateur également. Mais quand il s’agissait de jouer pour les Boozoos, j’étais instrumentaliste et chanteur. Après Moustapha a été emprisonné puis libéré, il est allé amener Jimmy Hyacinthe et Rato Venance, tous deux des ivoiriens et on a créé les Djinaroux (génie en dioula). Le groupe a connu quelques difficultés, notamment des mésententes entre Jimmy et Moustapha. Cela entraina sa dislocation.
Parlez-nous de votre contribution pour résorber les effets de la famine de 1973 qu’a connue le Burkina ?
Ah !! On a joué pour cela. Il y avait effectivement la famine en Haute-Volta. Nous, nous étions à Karlsruhe (Allemagne) et on a joué pour envoyer l’argent au pays. C’était une initiative de notre part, et il n’y avait pas de contrepartie. Je ne me rappelle pas de la somme mobilisée, mais il faut surtout retenir la portée de cette initiative.

Vraiment, il n’y a pas eu de contrepartie de la part des autorités publiques de l’époque ?
Non !!Rien du tout (ton pathétique). Rien du tout, on a aussi joué à Bonn (Allemagne) en 1974. Le Premier ministre de l’époque, Issouf Conombo, est venu et il a constaté que c’était écrit sur les affiches, Bozambos de la Côte d’ivoire. Ce n’était pas exact d’écrire cela. En effet nous avions créé les Djinahouroux, ici en 1969 au pays. Issouf Conombo savait que les Djinahouroux sont de la Haute-Volta, puisqu’on jouait chez Ricardo. Il a exigé qu’on change l’inscription de l’affiche sous peine de nous voir renvoyer au pays. Mais l’erreur s’expliquait par le fait qu’on est parti d’Abidjan pour créer les Djinahouroux.
Qui sont les grands noms de la musique que vous avez côtoyé au plan africain et international?
Quand nous sommes arrivés en Europe avec les Bozambos dans les années 70, il n’y avait que 2 orchestres africains. Les Bozambos en Allemagne, et Osibisa en Angleterre. Manu Dibango accompagnait dans les boites de nuit à Paris et en Belgique, des musiciens français et belges. C’était un requin, parce qu’il n’avait pas d’orchestre. Il était pianiste et saxophoniste.
La musique nourrissait-elle son homme à l’époque?
Oui !! Ça nourrissait son homme mais il y a un mais. Le problème est que l’argent qu’on gagnait, c’est Moustapha qui prenait tout, (rires aux éclats). On ne jouait pas pour l’argent mais quand on était en Allemagne, franchement on gagnait l’argent et les preuves sont là. C’est à moi que revenait la gestion des Bozambo, dont les cachets, les factures, sont là avec moi, d’ailleurs ces preuves occupent les dernières pages de mon mémoire en rédaction.
La musique est devenue une histoire de famille chez les Tapsoba ?
Oui d’un côté.
Un héritage familial ?
Oui, je pense. Je ne suis pas le seul à jouer dans la famille. Il y a ma petite sœur, Wend-yida Opportune, qui a été une des premières filles à faire de la musique en Haute-Volta. Il y a mon frère Achille, qui était le DAF de Blaise Compaoré, à l’université on l’appelait Achille Bass, c’est eux qui ont créé le premier orchestre de l’université. Mais c’était au CVD que les Achille s’entrainaient, avant qu’il crée l’orchestre de l’université. Des grandes vedettes sont passées par le CVD, tels, André Marie Tala, Elvis Kemayo, François Lougha, Aicha Koné, Tshala Muana, Fifi Radjatou, Tohon Stanislas, Yimo Toki Lala, etc. tous sont passées ici. C’est mon orchestre CVD qui accompagnait les gens. Ils savaient en arrivant chez moi, qu’il y a un professionnel qui est là.
Aujourd’hui vous vivez de quoi ?
Je vis des ressources de mon entreprise phytosanitaire, dénommée Jean Joseph Auguste Marie Olga APHYS (J.JAMO APHYS). Je me rappelle après la saison pluvieuse en 97 et 98, j’ai démoustiqué tout le secteur 1 à l’époque, devenu secteur 2 aujourd’hui. Je traite de l’assainissement, dans les restaurants, les hôtels, et actuellement je suis en négociation avec les ambassades. J’avais 15 personnes sous ma coupe, maintenant ils ne sont que 3, depuis que je suis tombé malade ils sont partis, aller ouvrir leur entreprise, mais qui continuent de me consulter en cas de difficultés de liées à l’entreprise.
On nous a rapporté que vous êtes un passionné de la voiture 2CV, qu’en est-il exactement ?
Ah Oui ! J’ai appris à conduire avec la 2CV. Mon père en possédait, dans les années 50, et j’ai appris à conduire dans les années 60. Il nous réveillait la nuit un à un et nous apprenait à conduire. A l’époque il était un agent spécial. C’est lui qui payait les fonctionnaires. Avec l’indépendance il a rejoint Ouagadougou, et Maxime Ouédraogo l’a pris comme chef de cabinet, mais certains de ses parents n’appréciaient pas ce changement de travail. On préférait son poste de payeur principal des fonctionnaires, c’est mieux. D’ailleurs s’il n’était pas allé avec Maxime, il n’allait pas avoir les problèmes qu’il a eus par la suite.

Pour revenir à votre question, c’est sur le terrain C de l’aviation, zone dégagée, qu’il nous apprenait à conduire. (Rire) c’était intéressant. Et c’est depuis 1978 que j’ai acheté ma 2CV. Elle est la même que j’ai aujourd’hui.
Quel regard vous portez aujourd’hui sur la musique burkinabè
Ce qui est dommage, c’est que beaucoup de musiciens burkinabè d’aujourd’hui, ne sont pas des instrumentistes. Normalement, pour être artiste-musicien, il faut savoir jouer un instrument. Aujourd’hui tout se fait par l’informatique. Cela est tellement vrai que beaucoup d’entre eux ne peuvent pas faire du live. Ils sont dans le play back. En tout état de cause c’est leur époque, faut pas leur en vouloir. Quand nous aussi on jouait, à l’époque nos parents disaient surement que nous ne valions rien (Rire). Néanmoins, nous on écoutait la composition de certains artistes européens et on les rejouait. Cela faisait plaisir au colon, quand ils voyaient que nous jouions de la musique de chez eux. Mais les jeunes ne peuvent pas faire ça aujourd’hui.
Que dites-vous des thématiques abordées dans leurs chansons
C’est bizarre. Nous à l’époque, nous donnions des conseils dans nos chansons. Je vous raconte une anecdote : Une fille me demandait un jour si je connaissais Dim Jérémie, elle voulait lui dire merci, car c’est grâce à une de ces chansons qu’elle a eu du travail. Qu’entre-temps elle était découragée mais en écoutant le morceau du Dim Jérémie, elle a été réconfortée et elle a eu du boulot. La musique avait un rôle éducatif. Aujourd’hui les musiciens chantent les fesses au dehors.
Le monde de la culture semble vous avoir oublié ?
Ça oui et je trouve que c’est dommage. A l’époque on a suivi les devanciers, on s’approchait d’eux pour apprendre. La jeunesse aujourd’hui ne s’approche pas de nous. Ils ne savent même pas ce qu’on a eu à faire. Ils ne savent pas que nous aussi on a été jeune. Et puis les autorités là, c’est déplorable. On a fait beaucoup de choses pour le pays, mais elles ne nous récompensent pas. Moi par exemple je n’ai jamais été décoré ; et paix à l’âme de Tô Finley, quand il a été décoré, il leur a dit que c’est bizarre car son chef, Bouzous, ne l’a pas encore été ? Les autorités attendent qu’on meure, pour venir nous décorer à titre posthume. Quand je vois des amis comme Amidou Bance ou François Tapsoba, qui ont encadré les petits chanteurs de la Révolution, mais le dernier cité est décédé dans le dénuement absolu. I n’a rien gagné dans son travail de musicien-encadreur. Il y avait un Béninois, Robert naturalisé Tapsoba, lui s’est plaint avec le ministre Baba Hama et il a été décoré. (Rire). Pourtant les autorités nous connaissent, parce qu’à l’époque quand on jouait, ils venaient nous regarder jouer à partir des clôtures. C’est déplorable (soupire), il y a aucune reconnaissance.
Néanmoins je pense qu’il y a une bonne chose en voie d’être faite. Il y a le ministre de la Culture qui a voulu me rencontrer. Je lui ai fait dire que je suis en train de préparer un mémoire et quand j’aurai fini j’irai le voir. Ce mémoire sur ma vie d’artiste constitue une preuve de ma contribution à la promotion de la culture nationale que j’apporterai au ministre.
Propos recueillis par Camille Baki