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Musique burkinabè : « Il arrive très souvent au producteur d’investir à perte », selon San Rémy Traoré

Réalisateur audiovisuel, directeur général de la maison de production artistique, Propulsion production, il est dans son domaine d’activité l’un des plus en vogue, connu surtout comme celui à qui l’artiste Kayawoto doit une carrière prometteuse. San Rémy Traoré, c’est de ce producteur qu’il s’agit, s’est fait une réputation dans l’univers de la culture par la force de la rigueur, la persévérance et la passion dans le travail. Dans un café de Ouagadougou, l’ancien rappeur nous a accordé une interview dans laquelle il nous parle de son métier et de son ancienne vie d’artiste.

Depuis quand êtes-vous producteur ?

Je suis producteur depuis 2014. J’ai commencé avec l’artiste Taliane et depuis lors je continue de bosser sur des projets spécifiques  avec d’autres artistes mais aussi sur des productions complètes.

C’est quoi au juste le métier de producteur?

Le producteur c’est cette personne ou cette structure qui décide d’accompagner un artiste en injectant des sous dans ses œuvres dans le but d’en faire un business. De façon pratique, le producteur permet à l’artiste d’enregistrer ses chansons, puis assure la promotion de ces chansons en finançant par exemple l’album de l’artiste. Dans ce métier de production il y a des indépendants mais il y a aussi ceux qu’on appelle les majors, c’est-à-dire des maisons de disques qui ont énormément de moyens et qui décident de créer un projet musical.

De là, il faut préciser qu’il y a une nuance autour de cette définition du  rôle du producteur selon que vous êtes  au Burkina ou ailleurs. En Europe ou aux Etats-Unis par exemple, c’est la personne qui crée la musique qu’on appelle producteur. C’est-à-dire la personne qui dispose de machines, qui reçoit l’artiste, qui s’occupe du volet technique de sa musique. Au Burkina comme dans d’autres pays africains, ce créateur est appelé arrangeur.

Comment êtes-vous arrivé dans ce métier ?

 Il faut dire qu’au départ j’étais artiste musicien. Pour la petite histoire, j’ai été sur la compilation Planet Rap avec Smockey. Dès lors j’ai compris combien ça peut être difficile pour les artistes de développer par eux-mêmes leur carrière. C’est ainsi que je me suis beaucoup intéressé à la réalisation vidéo parce que moi-même artiste, je n’ai pas pu faire réaliser un clip par manque de moyens. A un moment donné, je me suis réellement intéressé à la chose, cherchant d’abord à comprendre comment ça marche avant de pouvoir réaliser des clips. J’ai d’ailleurs commencé avec l’artiste Taliane. Quand son album est sorti, je me suis lancé dans la production.

Certains confondent le rôle du producteur à celui du manager ? Est-ce que la différence à ce niveau est nette ?

Contrairement au producteur qui finance la production musicale,  le manager, lui joue un rôle d’intermédiaire entre l’artiste et les acteurs de l’industrie musicale. En d’autres termes, le travail du manager est de développer la carrière de l’artiste à travers des stratégies qu’il met en place, à travers des conseils, à travers les contacts qu’il crée notamment avec les maisons de disques, les promoteurs de spectacles, etc.  

A ce jour, combien d’artistes avez-vous produit ?

Après Taliane, j’ai bossé avec Cool Team, un groupe de trois jeunes artistes dont Will B Black. Avec ce groupe, j’ai travaillé sur des projets spécifiques, notamment inspirés des concepts de danse qui, à un moment se sont développés dans les capitales africaines comme le Gweta au Togo, le coupé décalé en côte d’ivoire. Nous avons vu aussi combien le Takborsé a eu de l’effet au Burkina, etc. c’est ainsi que nous avons entrepris de lancer le concept de dance, Kamado. Il s’agissait de mobiliser des jeunes de quartiers, du moins les meilleurs danseurs, pour proposer des pas de dance dans le style urbain. L’idée était de permettre aux styles de dance burkinabè de s’imposer aussi à l’étranger. Nous avons lancé donc le projet mais malheureusement le groupe s’est disloqué, quand bien même on a eu le mérite d’avoir essayé.

Après ce groupe j’ai bossé, en production complète, avec Limachel. Puis, en 2017, il y a eu le projet, ‘’Champions d’Afrique’’ avec, Fleur, Iska, Malika la Slamazone, Limachel et Will B Black. L’idée derrière ce projet a été de mobiliser des artistes qui devaient proposer une chanson pour soutenir les Etalons qui participaient à la Coupe d’Afrique des nations. Passé le projet de Champions d’Afrique, j’ai travaillé sur la compilation Sang neuf qui mobilisait de jeunes et talentueux rappeurs. C’est d’ailleurs de cette compilation que tout est parti avec l’artiste Kayawoto que les mélomanes connaissent bien aujourd’hui. Pour la petite histoire, Kayawotto est le dernier à être accueilli dans la compilation.

Parlez-nous de votre collaboration avec Kayawoto ; Est-ce vous qui êtes allé vers lui ou bien l’inverse ?

Avec Sang neuf, l’idée était de mobiliser un nombre restreint d’artistes, les meilleurs surtout et pouvoir les accompagner dans leur carrière. Parce que comme je le dis, il y a des artistes pleins de talent mais qui rasent les murs dans les quartiers. Lorsqu’on a obtenu le nombre de personnes souhaitées dans la compilation, on s’est rendu compte que cette compilation manque de quelque chose pour être complète. Il fallait une certaine couleur, une certaine originalité. C’est ainsi qu’on a lancé un appel sur les réseaux sociaux. Comme d’autres personnes, Kayawoto a manifesté son intérêt de rejoindre la compilation. Lorsqu’on l’a reçu, il a impressionné plus d’un, par son style, son free-style, et là on était sûr que c’était la personne qu’il nous fallait. Depuis lors on continue de bosser ensemble.

Comment se passe votre collaboration ?

Avec Kayawoto, j’entretien une bonne collaboration, mais il est vrai que parfois l’ambiance est tendu parce qu’il faut faire avancer les choses. C’est d’ailleurs bien de pouvoir échanger aussi bien dans une bonne ambiance que dans une ambiance parfois surchauffée mais toujours dans le sens de faire avancer les choses. Jusqu’à présent je peux dire donc que tout va bien. La preuve en est d’ailleurs le fait que nous continuons cette collaboration.

Qu’est-ce que vous trouvez de plus ou de moins chez Kayawoto, comparé à d’autres artistes ?

Ce qui accroche plus chez lui c’est son sérieux dans le travail mais aussi son humilité. C’est la première des choses qu’on recherche chez un artiste avec qui l’on travaille. Parce qu’avec de nombreux artistes, ce n’est pas évident d’être patient, d’être assidu au travail, pas non plus évident de savoir garder sa tête sur ses épaules. Par l’énergie qu’il dégage, on sait vite que c’est quelqu’un qui nourrit de grandes ambitions et qui donne le meilleur de lui pour réaliser ses rêves. Pour le moins, que dire ? Je ne sais trop. Ce qu’il faut retenir c’est que c’est un artiste qui adore son boulot. Et de ce fait il ne tarit pas de propositions. Il arrive donc parfois qu’il en fasse trop (rires).

L’album Maouland est sorti. Est-ce qu’il y a un projet commun autour de l’œuvre ?

L’objectif premier était de faire connaitre l’album au Burkina, mais aussi prospecter à l’international. Parce que l’idée c’est ne pas rester seulement au Burkina. C’est déjà intéressant que le public burkinabè l’adopte mais la conquête de l’international reste un gros défi. Au Burkina une chose déjà nous tient à cœur, c’est de faire le plein du stade municipal de Ouagadougou lors du concert. Avec les restrictions liées à la situation sanitaire c’est un peu plus compliqué mais nous y tenons vraiment et les Maoulandais seront informés de la date de ce concert le moment venu.

La plupart des artistes que vous avez produits ont percé, comme on aime le dire dans le jargon ; si on considère cela comme une prouesse, quel en est votre secret ?

Ce n’est pas évident parce que nous travaillons avec des artistes qui ont des réalités, qui ont des humeurs, mais le plus important c’est de sortir de tout cela avec des résultats concluants. Ça fait plaisir quand on bosse avec un artiste et que plus tard il est adopté par le public. Ça me fait chaud au cœur. Souvent on le fait dans le sens du business mais ce n’est pas non plus évident de récolter ce qu’on a semé. Je ne vous le fais pas dire, il arrive très souvent au producteur d’investir à perte. Mais le plus important pour moi c’est de permettre à des artistes de s’afficher. Après s’il y a des relais, c’est tant mieux. Parce que l’objectif n’est pas aussi de travailler avec ces artistes-là et ne les garder que pour nous. Si nous collaborons avec un artiste aujourd’hui et que demain une maison de production plus grande que la nôtre le copte, nous accompagnerons d’ailleurs ce processus. Mais d’ores et déjà, notre but est de révéler des talents, de les propulser. La preuve est que nous avons lancé la carrière d’un  certain nombre d’artistes avec qui nous ne collaborons pas aujourd’hui.

Est-ce qu’il y a des talents dans les tuyaux que Propulsion compte encore révéler dans les jours à venir ?

Bien sûr. Bientôt vous allez découvrir d’autres artistes. D’ailleurs il faut savoir que la compilation Sang neuf dont est issue Kayawoto et d’autres artistes est encore d’actualité. Mais pour le moment nous travaillons uniquement avec Kayawoto. Parce qu’il ne sert à rien non plus de lancer plusieurs artistes à la fois et ne pas pouvoir les suivre. C’est-à-dire qu’il faut aller étape par étape.

Entretien réalisé par Bernard Kaboré

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