Tribune

Nestorine Sangaré : « J’ai été victime d’une chasse aux sorcières »

Dans une publication via son compte Facebook, l’ancienne ministre de la Promotion de la femme et du genre, Nestorine Sangaré, revient sur ce qu’elle considère comme « une chasse aux sorcières » dont elle a été victime suite à son départ du gouvernement. L’ex-enseignante au département Communication et journalisme évoque des obstacles rencontrés depuis lors sur le chemin de la recherche, met en cause des responsables de l’université Joseph Ki-Zerbo. Nous vous proposons l’écrit de dame Sangaré qui entend contribuer au débat public sur ce sujet de « la poursuite, le harcèlement, la répression et la persécution, contre les opposants d’un régime ».

Nestorine Sangaré

Depuis le dernier coup d’Etat, j’entends dire qu’il faut éviter la chasse aux sorcières. Que signifie la chasse aux sorcières ? C’est la poursuite, le harcèlement, la répression et la persécution, contre les opposants d’un régime ou des personnes supposées telles. Ai-je été victime de la chasse aux sorcières après mon départ du gouvernement ? A vous de juger selon la vérité et la justice.

Je suis restée en cachette pendant plus d’un mois parce que pendant l’insurrection, deux groupes de manifestants cherchaient ma maison pour brûler. En début janvier 2015, je suis allée pour reprendre service à l’Université de Ouaga comme mes autres collègues hommes. Ils m’ont dit qu’il suffit d’une lettre du SG de l’Université. J’ai pris d’abord attache avec la DRH (Mme Coulibaly) qui m’a signifié que mon dossier était vide et qu’il n’y avait aucun document administratif me concernant. J’ai apporté toutes les copies des pièces requises.

J’ai pris attache avec le SG, Mr Tenkogodo qui me dit qu’il va demander l’avis de mon chef de Département (Communication et Journalisme, Dr Tahirou Bangré). J’ai fait une demande écrite le 15 janvier 2015 pour aller remettre au Chef de Département. Il m’a dit que mes cours avaient été attribués à d’autres enseignants et d’attendre le mois de mai pour que la reprogrammation soit faite et que mes cours me soient restitués. Pendant ce temps, j’ai recontacté plusieurs fois le SG (à son bureau ou au téléphone). A chaque fois, il disait qu’il n’avait pas encore eu l’avis du Chef de département pour ma reprise administrative. Or, sans reprise administrative, je suis sans salaire.

« Une rencontre interne sans ma présence »

En 2011, je préparais mon dossier pour le CAMES quand j’ai été nommée Ministre, ce qui me place d’office en situation de détachement administratif. Au mois de mai 2015, le Président de l’UO a sorti une note disant que je suis forclos, ce qui signifie que je ne peux plus avoir le statut d’assistante à l’Université parce que je ne suis pas passée Maitre Assistante dans les délais requis. Pourtant, je réunissais le nombre d’articles requis et j’aurais pu me présenter au CAMES si j’avais pu reprendre service dès janvier 2015 avant cette note. A la rentrée en septembre 2015, j’ai rencontré le nouveau Chef de Département (Régis Balima). Nous avons identifié ensemble les cours que je pouvais dispenser. Je suis repartie voir le SG qui me déconseilla en me révélant l’existence d’une situation d’hostilité à mon égard au sein du département de Communication. Après concertation avec le Directeur de l’UFR et le Président de l’UO, la décision a été prise d’organiser une rencontre interne pour comprendre la situation, sans ma présence. Par la suite, le Directeur de l’UFR/ LAC a régularisé ma situation administrative, mais il a informé le Président de l’UO que le Chef de Département dit qu’il n’a pas besoin de mes services. Il n’y a un document écrit du Chef de département qui atteste cet avis. Néanmoins, quand le nouveau Président de l’UO (Pr Cissé) a donné la chance à 10 assistants forclos de régulariser leur situation par rapport au CAMES, le Chef de Département n’a pas défendu mon dossier avec les circonstances atténuantes comme cela été fait pour d’autres collègues de Communication et en Allemand. Au contraire, ils ont confirmé ne pas avoir besoin de mes services en disant au Directeur de l’UFR (Dr Malgoubri) que « forclos, c’est forclos ». Je n’ai pas été informée par le département de cette opportunité de régularisation.

« Saga honteuse indigne d’une université »

Pourtant, j’avais été recrutée directement par le Département de Communication en manque d’enseignants et j’assurais les cours suivants : théories du développement, sociologie du développement, pratiques de communication (y compris négociation et gestion des conflits), méthodologie de recherche en sciences de l’information et de la communication, communication pour le développement et encadrement des étudiants pour leurs mémoires. En étant ministre, j’ai offert des bourses aux étudiants pauvres et j’ai acheté les livres pour reconstituer la bibliothèque du département. Il n’y avait aucune hostilité. Depuis mon exclusion, les responsables du département préfèrent prendre des enseignants vacataires pour les payer pour enseigner au lieu de me laisser reprendre mes cours, ce qui constitue un gaspillage de ressources financières. Je vous passe les détails scabreux de cette saga honteuse indigne d’une université.

Après 2 ans de ping pong administratif entre les différents services de l’UO et sans salaire (2015-2017), le Président de l’Université m’a remis à disposition du Ministère des Enseignements Supérieurs pour emploi. Parmi mes collègues ministres, je suis la seule enseignante avoir été éjectée de l’université grâce au blocage administratif de ma reprise de service suite à mon passage au gouvernement. Ma carrière professionnelle est entièrement bloquée depuis 2011. Pour pouvoir intégrer le CNRST, mes 15 années de service comme enseignante-chercheur ne peuvent pas être valorisées pour je puisse avoir un statut de Chargée de recherche. Je dois absolument retourner dans une Université comme assistante pour enseigner afin de pouvoir évoluer sur le plan professionnel avant ma prochaine retraite.

« Après trois ans comme ministre, j’ai fait trois ans sans salaire »

Après le coup d’état civil du 30 Octobre 2014, mon dernier salaire ministériel a été versé en fin novembre 2014. Le Pr Loada, alors Ministre de la Fonction Publique sous la Transition, a expliqué que le gouvernement ne s’étant pas terminé de manière normale, nous n’avions pas droit à 6 mois de salaire comme cela est appliqué habituellement. Est-ce que les autres ministres qui ont eu à quitter les équipes gouvernementales après 2014 n’ont pas reçu les 6 mois de salaire ministériel après leur mandat ? Après trois ans comme ministre, j’ai fait trois ans sans salaire alors que je suis agent de la fonction publique. Depuis que j’ai été reversée et placée au garage à l’ANVAR, je reçois la moitié de mon salaire de l’université en perdant les indemnités (de 660 000 à 360 000 FCFA). Pour survivre, j’ai fait des consultations à l’internationale (au Gabon et en Guinée). Ayant été accusée de complicité d’assassinat et de coups et blessures, je ne pouvais pas chercher du travail hors du Burkina. Selon l’ordonnance de la Haute Cours de justice toujours en vigueur, je ne peux pas quitter le pays plus de 2 semaines. Chaque fois que j’arrive à l’aéroport ou à un poste de frontière terrestre, le système informatique se bloque quand la police écrit mon nom. Il faut que la Haute Cours donne son accord pour que je puisse voyager. J’ai bien essayé et trouvé un poste comme Directrice Pays de la Fédération Américaine de Planification Familiale de Juillet à Octobre 2015. Mais, cous la pression des OSC politisées, j’ai été licenciée au bout de quatre mois. J’avais un salaire de 4 500 000 FCFA. J’ai gagné le procès au bout de 5 ans de bataille judiciaire suite à l’appel du verdict par le Cabinet de Maitre Kam qui défendait mon ex-employeur.

« Les petits et grands vuvuzelas du MPP ont dit que j’étais aigre et rancunière. »

J’ai été renvoyée de l’Université parce qu’ils m’ont empêchée de présenter mes articles au CAMES en bloquant ma reprise de service. Puisque je ne pouvais plus enseigner à l’Université, je me suis mise à écrire sur Facebook. Et là, les petits et grands vuvuzelas du MPP ont dit que j’étais aigre et rancunière. Que je ne supporte pas d’avoir perdu mes privilèges. Ils ont écrit qu’ils regrettaient de n’avoir pas terminé le boulot le jour de l’insurrection. Les injonctions courantes sont : Taisez-vous définitivement. On vous a assez vus. Cachez-vous. On ne veut plus vous voir. Le peuple ne veut plus de vous. Il faut faire profil bas. Il ne faut pas remuer le couteau dans la plaie. Malgré les injures et les provocations, et l’adversité quotidienne, j’ai essayé de contribuer au débat citoyen.

Vous avez la preuve que je peux écrire et publier sur des sujets divers. Plusieurs personnes portent le titre Professeur d’université sans que l’opinion nationale ne sache quelle est leur contribution intellectuelle au développement national. Plusieurs portent le titre et jouissent des avantages qui en découlent sans avoir la rationalité et l’objectivité attendues des scientifiques. Au regard de tout ce qui précède, j’affirme que j’ai été victime d’une chasse aux sorcières. Mon seul tort est d’avoir été ministre sous Blaise COMPAORE.

Ces faits ne datent pas d’un siècle. Ils sont toujours en cours. Tous les protagonistes sont là et certains veulent travestir l’histoire à leur seul avantage. Il est vrai que le silence des victimes profitent au coupable. Mais, nous n’irons pas à la réconciliation et l’unité nationale sans la vérité et la justice pour tous.

Dr Nestorine Sangaré

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