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Justice: épistémologie de la défense pénale dans le procès politique avec Me Arnaud Ouédraogo

Dans cet écrit, Me Arnaud Ouédraogo, revient sur l’histoire de la défense pénale dans le procès politique. Nous vous proposons sa réflexion en Vendredi Saint pour les chrétiens catholiques parce qu’il est parti de l’histoire de Jésus devant Pilate.

JESUS FACE A PILATE.

EPISTÉMOLOGIE DE LA DÉFENSE PÉNALE DANS LE PROCÈS POLITIQUE

Jésus comparaît devant Pilate aujourd’hui, Dimanche des Rameaux, dans un procès dont les leçons inspireront la pensée juridique pour les siècles des siècles. L’occasion nous est ainsi donnée d’engager une épistémologie de la défense pénale dans le procès politique.

Tout procès pénal met en jeu un triptyque irréductible : « Accusé – Juge – Public ». Bien sûr que la victime joue un rôle majeur mais elle n’est pas une figure irréductible puisqu’il peut bien y avoir procès sans victime. Dans le procès de Jésus, on verra que l’« ordonnancement » de ce triptyque a connu un bouleversement, dans l’espace et dans le temps.

1. Le bouleversement de l’ordre spatial du procès

Dans le bon ordre des choses, l’accusé fait face au juge et donne dos au public tandis que le juge fait face au public et ne donne dos qu’à son siège. Cette « disposition » de l’arène judiciaire n’est pas fortuite ; c’est elle qui structure le jeu des acteurs : il n’est point de procès sans espace, et à chaque acteur son espace assigné.

Plus d’une fois, Pilate eut l’heureuse intuition de conquérir cet espace pour préserver son impérium mais la force lui manqua face la foule pressante – c’est « La force qui nous manque » (Eva Joly).

Comme un bon juge, Pilate tenta d’abord de recentrer l’affaire dans les stricts contours du « chef d’accusation », périmètre de toute défense pénale : « De quoi accusez-vous cet homme ? ». Mais la question fut vite balayée par les accusateurs : « Si nous t’avons livré cet homme, c’est qu’il a fait du mal ».

Comme un bon juge, Pilate eut encore l’intuition d’expérimenter ce qu’Antoine GARAPON nomme « la vertu de distance ». Par deux fois, Pilate se retira seul avec Jésus en vue de lever l’équivoque (« Fils de Dieu » ou « Roi des Juifs » ?). Mais l’accusé, voyant le piège dans la question, et pour ne pas plaider contre soi-même, retourna à Pilate ses propres mots : « C’est toi qui le dis ». On voit que l’accusé ne se montra pas très révérencieux.

Le drame dans ce procès, c’est que le public a débordé de son espace assigné pour envahir le prétoire, partageant ainsi avec le juge ce qui devait demeurer une exclusivité prétorienne : le « pouvoir de juger ». Il eut fallu tracer une ligne de démarcation nette (le « cercle de craie » de Berthold Brecht) pour contenir la foule qui réclamait à cors et à cri la libération de Barrabas. Et c’était au juge de veiller à ce que le vacarme de la folie n’étouffe pas le murmure de la « raison juridique ».

2. Le bouleversement de l’ordre temporel du procès

Seule la restitution du procès pénal dans un ordre temporel, procédural et ordonnancé, impose aux parties prenantes d’entrer dans la réflexion au « long cours » et de se situer dans la perspective du « temps long ». C’est le seul moyen de s’extraire du piège de la « justice expéditive ».

Tout bon juge pris dans le feu de la rampe doit maniérer savamment pour « organiser » le procès, c’est-à-dire le différer ou le faire durer. C’est le sens premier de la procédure pénale et c’est l’essence-même de la présence de l’avocat.

Ce qui manqua à Pilate, ce fut d’avoir jugé « sur le champ » alors qu’il eut suffi de renvoyer le procès au lendemain pour que l’euphorie de la crucifixion s’estompât, et que chacun, dans l’isolement de sa conscience, redevînt apte au discernement du Centenier : « Vraiment, cet homme était Fils de Dieu ».

Ce qui manqua encore à ce procès, c’est l’avocat pour porter au juge la parole de l’accusé afin d’échapper au face-à-face. Un avocat pour s’interposer entre l’accusé et le juge, entre la justice et la foule. Un avocat pour parachever l’institutionnalisation du jeu des acteurs judiciaires. On pardonne à l’avocat son irrévérence prétorienne, mais pas à l’accusé.

Ici s’arrête la spéculation intellectuelle afin que demeure le voile du « Mystère » qui prédétermina l’ordre des choses et porta le « Corps glorieux » du Christ vers la Résurrection.

Me Arnaud OUEDRAOGO

Avocat

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