Société

Influence médias internationaux : « l’Afrique a aujourd’hui besoin d’un média qui parle en son nom », Abdoulaye Barry

Comment peut-on, via les médias, construire l’opinion publique africaine dans une démocratie en difficulté ? Que reste-t-il à faire à l’Afrique pour se défaire du soft-power des puissances occidentales par le biais des médias internationaux ? Voilà deux problématiques d’actualité qui ont fait l’objet d’une conférence publique, ce 30 avril  2022 au Centre national de presse Norbert Zongo de Ouagadougou, à l’initiative de la Société burkinabè de géopolitique. Animateur de la thématique sur l’influence des médias d’ailleurs, le journaliste et analyste politique, Abdoulaye Barry a pointé une « déresponsabilisation des Africains dans le jeu », non sans prôner la « création d’un média capable de porter aujourd’hui la voix de l’Afrique ».

Les panelistes: Abdoulaye Barry (à g.), Abdoulazize Bamogo à (d.), le modérateur, Pr Serge Théophile Balima (au m.)

Et de deux pour l’ « Agora géopolitique ». Si ces deux vocables associés ne vous disent pas grand-chose, sachez qu’il s’agit simplement d’une conférence publique qui se veut mensuelle et qui aborde des questions liées aux enjeux de la géopolitique en Afrique de façon générale et au Burkina en particulier. Cette initiative, on la doit à la Société burkinabè de géopolitique (SBG), une association apolitique né en avril 2021 et qui s’est donnée pour mission de « contribuer à la maîtrise des enjeux géopolitiques au Burkina », selon son président, Hamidou Dipama.

La thématique générale retenue pour cette deuxième conférence publique du genre est ainsi intitulée, « médias et construction de l’opinion publique : enjeu géopolitique pour les pays africains ». A l’affiche, deux sous thématiques, à savoir : « Medias et opinion publique dans une démocratie en difficulté », par le vice-président du Conseil supérieur de la communication, Abdoulazize Bamogo et  « Médias internationaux et influence de l’opinion publique africaine : un outil de positionnement géopolitique », par le journaliste et analyste politique, Abdoulaye Barry, sous une modération de l’éminent universitaire Serge Théophile Balima.

En abordant sa thématique, Abdoulazize Bamogo est parti des années 90, marquées par le choix d’anciennes colonies françaises d’Afrique de l’Ouest de basculer dans un processus de démocratisation avec en toile de fond l’acceptation du multipartisme, la libéralisation de l’espace médiatique, la promotion de la bonne gouvernance et des droits humains. Mais trente ans après, « rien ne semble encore gagné », note le vice-régulateur en chef de la communication au Burkina. En cause, des couacs, dont des crises politiques et des contestations populaires qui ont émaillé le processus de démocratisation.

Une démocratie en difficulté

Passée à la loupe, la démocratie sous nos tropiques, se définirait au finish, selon le communicateur, par « des disparités dans la répartition des richesses avec à la clé de multiples fractures sociales, l’affaiblissement du sentiment d’appartenance nationale du fait notamment de l’insécurité, une difficulté à générer des régimes durables,…. » Dans ce bouillonnement, « la presse, suivant ses convictions diverses, a fait connaitre ces voix discordantes, elle a rendu compte de la dynamique démocratique en mettant en relief ces contradictions, bref, elle a su porter le débat public sur la vie démocratique dans notre pays », avoue Abdoulazize Bamogo.

Le président de la SBG, Hamidou Dipama

Tout en intégrant cette dynamique démocratique, les médias n’ont pas par contre souvent été en marge d’effets de distorsion, note Abdoulazize Bamogo. Et d’expliquer qu’ils ont souvent mis en avant « la manifestation spectaculaire de la crise politique que les causes de celles-ci ». A côté, poursuit-il, des journalistes ou des médias ont parfois fait la communication des détenteurs du pouvoir, tandis que des politiques ne manquent pas l’occasion de manipuler l’opinion par les médias, surtout quand la démocratie est en panne. A ces moyens de distorsion du quatrième pouvoir et au-delà l’opinion publique, Abdoulazize Bamogo ajoute les censures et les autocensures, les cas de corruption de journalistes ou de médias, l’accaparement des médias par les puissances économiques, …Et comme pistes de solutions, il faut, entre autre, assurer le financement des médias privés, organiser des campagnes d’éducation aux médias afin que les citoyens soient des demandeurs d’information de qualité.

Pour le journaliste et analyste politique, Abdoulaye Barry, qui a entretenu le public sur l’influence des médias internationaux, il faut vite voire derrière l’intérêt porté à l’Afrique par la presse internationale comme une volonté inavouée des grandes puissances de mettre en œuvre un soft power, entendez une suprématie douce sur les pays en voie de développement. Dès lors, ces médias deviennent eux-mêmes des outils du soft-power. Le communicateur compare ce rôle des médias internationaux à l’aide au développement ou à l’action des organismes non gouvernementaux.

Une élite favorable au jeu d’influence

Si l’Afrique est devenue depuis la fin de la deuxième guerre mondiale « une terre promise pour les médias internationaux », c’est parce qu’elle est depuis lors « un terrain d’enjeu des puissances », croit savoir Abdoulaye Barry. Sa lecture est d’autant sans appel que ces médias ont vocation à jouer le rôle d’« instruments de domination », notamment par l’information. Abdoulaye Barry ne croit pas si bien dire, des sondages révèlent par exemple que France 24 et Radio France internationale arrivent en tête des médias les plus suivis dans les capitales de huit pays africains dont le Burkina Faso.

La SBG poursuit l’ambition d’aider le Burkina à opérer des choix stratégiques en matière de géopolitique, selon la chargée de communication de l’association, Angéline Sawadogo

Du point de vue de l’analyste, plusieurs moyens d’influence sont utilisés par les médias internationaux. L’un de ces moyens consisterait à amplifier les évènements, à travers notamment des éditions spéciales très souvent diffusés en boucle. Un autre moyen est celui qui passe par les élites pour crédibiliser l’information auprès de l’opinion. A ce sujet, Abdoulaye Barry a encore cité une étude d’audience faisant état de ce que 81% des cadres africains écoutent RFI.

Le politologue suggère de rompre la chaine d’influence des médias internationaux. Cela passe nécessairement, selon lui, par une rupture de la déresponsabilisation des Africains. « Il est inadmissibles qu’aujourd’hui, l’UEMOA, la CEDEAO ou l’Union africaine n’aient pas leurs propres médias. Il est temps pour l’Afrique d’avoir un média qui parle à son nom ».

Burkina Faso

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