Defense & Sécurité

Qui va maintenant faire la guerre, mon lieutenant colonel?

Mon lieutenant colonel, c’est la première fois que je m’adresse à votre excellence. Je n’ai vraiment pas envie de parler de votre pouvoir, de vous critiquer. Je me sens souvent las et abattu. Et puis, les hommes et les femmes qui vous admirent et qui vous soutiennent ne sont pas assez tolérants comme ceux et celles qui admiraient et soutenaient votre prédécesseur. Celui-là que vous avez chassé le 24 janvier pour prendre le pouvoir. Chaque jour, la violence dans ce pays monte d’un cran, et c’est la preuve manifeste que de nombreux Burkinabè ont choisi de mourir pour soutenir des hommes et non pas pour défendre la patrie. Mais,cela n’est pas mon sujet de ce matin.

Mon lieutenant colonel, j’ai bien dit que j’aurais voulu me taire, m’occuper d’autres choses que de parler de votre gouvernance. Mais, quand on destine toute sa vie à la plume, se taire devient difficile. « Qui plume a, guerre a » disait bien Voltaire. Et il a raison. On écrit pour se faire des ennemis et non pas pour se faire des amis. Et je me suis fait assez d’ennemis. Peut-être, qu’à ce stade là, il ne me servirait à rien de me taire. Mon lieutenant colonel, quand vous avez pris le pouvoir le 24 janvier, je suis resté, comme de nombreux Burkinabè, dans le silence total, car le pouvoir de Roch KABORE avait montré toute son impuissance, pire, toute sa médiocrité, et votre arrivée au pouvoir pouvait annoncer une nouvelle ère, tant attendue. Toutefois, je suis resté sur ma logique. Il est illégal de prendre le pouvoir par les armes dans une démocratie. Mais quelle démocratie? Nous ne sommes ni en France encore moins en Amérique. Il n’y a pas, de fait, de démocratie sous nos cieux

Mon lieutenant colonel, j’ai donc cru, peut-être naïvement, qu’en bon soldat, vous et vos hommes, vous êtes venus pour faire la guerre puisque nous sommes dans un moment de guerre et c,est cela même qui légitime votre prise de pouvoir. Vous savez, je suis un formaliste. Et dans mon attachement aux formes, je me permets de croire qu’un militaire est formé pour faire la guerre. S’il fait autre chose dans sa vie, c’est parce qu’il n’y a pas de guerre. Sinon, il n’est pas formé pour faire autre chose. Il est formé pour faire la guerre. Pour être Directeur Général d’une institution républicaine, comme la SONABEL, la SONABHY, L,ONEA, on n’a pas besoin de savoir comment on monte et démonte une kalachnikov. On a besoin de savoir comment on gère les hommes, comment on les motive pour qu’ils travaillent pour de bons rendements . Peut-être qu’on a besoin aussi de savoir comment circule l’électricité, comment on fait un dépôt de carburant ou comment l’eau circule dans les tuyaux. Je veux donc dire que je ne vois pas la place d’un militaire dans toutes ces institutions. Que va faire un militaire à la Direction Générale de la SONABEL, de la SONABHY,de l,ONEA? Les travailleurs de ces institutions ne se mettent pas au garde à vous. Ils n’ont pas d’armes. Ils sont des ingénieurs et des inspecteurs. Comment vont- ils faire confiance à un homme armé, à un intrus, qui est formé pour donner des ordres, pour commander et non pas pour manager?

Mon lieutenant colonel, et pourtant, vous avez nommé un chef de guerre à la direction générale de la SONABHY. Y a-t-il des terroristes à neutraliser en cette période de guerre à la SONABHY? Il se peut que je manque d’informations. Sinon, pendant que ces frères d’arme se battent au front, je me demande ce que va faire un jeune de trente-sept ans à la direction générale de la SONABHY. La SONABHY est- elle devenue un camp militaire qui doit défendre la Nation?

Mon lieutenant colonel, j’ai aussi appris la nomination d’un capitaine comme chargé de mission à la présidence et la nomination d’un autre officier militaire pour s’occuper du parc automobile de la présidence. Certainement que j’avais de fausses connaissances sur la mission des officiers militaires. Pour moi, en période de guerre, un officier commande des troupes sur le terrain pour défendre sa patrie. Que je suis donc un ignorant ! J’apprends avec vous qu’on peut porter une tenue militaire, un pistolet automatique et aller s’asseoir en période de guerre dans un bureau climatisé pour se faire servir du café par une très belle secrétaire. Alors, la guerre , elle se fait aussi sur une chaise à bascule dans un bureau climatisé de 19 degré comme le mien, en cette période de chaleur. Je ne le savais pas.

Mon lieutenant colonel, si j’avais la chance d’être ce matin en face de vous, voici la question que j’allais vous poser: » Qui va maintenant faire la guerre, mon lieutenant colonel? » Ceux qui doivent faire la guerre sont devenus des directeurs et des chargés de mission. Qui est maintenant sur le terrain? Il y a certainement les VDP, oui, les braves VDP. Il y a mes amis gendarmes. Ces braves gendarmes. Ces hommes à tout faire. Je m’amusais l’autre jour en disant à un ami gendarme: » Du courage, le pays tient grâce à la gendarmerie. Quand,il y a la guerre, on vous envoie où se trouve l’ennemi. Quand il y a une attaque,c’est vous. Quand il y a un semblant de paix,on vous demande de traquer les grands bandits de la ville et de faire la police judiciaire. Dieu seul va vous récompenser, vous gendarmes, pour ce que vous faites pour ce pays »

Mon lieutenant colonel, je ne suis ni de vos admirateurs,ni de vos detracteurs. Je n’ai le temps ni pour l’un ni pour l’autre. Mais, je me permets de croire que ces nominations vont frustrer de nombreux soldats et des officiers sur le terrain..Et c’est humain. Nous sommes des promotionnaires. Nous sommes tous des officiers.Nous avons été fomés pour faire la guerre..Et nous sommes en période de guerre. Moi, je me bats au Sahel avec mes hommes. Ma base a déjà été attaquée. J’ai perdu , sous une pluie de rafales, des hommes ,de vaillants soldats. Je suis un commandant de trente-huit ans. Pendant que j’affronte les terroristes au quotidien,mon promotionnaire du même grade que moi est Directeur Général de la SONABHY. Lui, il ne fait pas la guerre. Il roule dans une V8 avec un chauffeur et passe sa journée dans un vaste bureau climatisé. Mon lieutenant colonel,nous sommes tous des humains. Un soldat, en période de guerre, fait la guerre. Voilà sa seule et unique mission.

Toutes mes sincères et humbles considérations.

Dieu protège le Burkina, notre patrie.

Adama Amadé SIGUIRE
Écrivain Professionnel/Consultant.

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3 commentaires

  1. Enfin une belle pensée. Ce que vous ne dites pas, c’est que ces méthodes consistent à mettre la main sur les enjeux stratégiques d’un pays. Un homme fait la même chose dans son pays, c’est poutine, et on le nomme, dictateur.

  2. LA vérité rougit les yeux mais ne les casse pas . Il faut bien admettre ,que ce que dit Mr SIGUIRE dans cet n’est que pure vérité . Et comme toute vérité elle fera mal .
    Que Dieu sauve le BURKINA FASO

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