Justice

Assassinat Thomas Sankara : « Diendéré m’a dit que le président est mort mais la révolution continue » (Somda K. Eugène)

L’adjudant-chef major à la retraite, Eugène K. Somda était sergent-chef en octobre 1987, alors chef d’un des trois groupes de sécurité qui constituaient la garde rapprochée de Thomas Sankara. Cité comme témoin dans le cadre du procès sur l’assassinat du père de la Révolution, le sexagénaire a comparu ce 13 décembre 2021 devant la chambre de première instance du tribunal militaire. Dans sa déposition, celui qui fut par ailleurs attaché de santé pour le compte de la présidence a fait savoir que le jour de l’assaut, il a rencontré au Conseil Gilbert Diendéré qui lui a fait part de la mort du président non sans le rassurer que la révolution allait continuer.

L’adjudant-chef major à la retraite, Eugène K. Somda

Un témoignage comme celui de l’adjudant-chef major à la retraite, Eugène K. Somda, était sans doute attendu par les différentes parties à ce procès sur l’assassinat de Thomas Sankara et douze de ses compagnons. La preuve en est que le nom de cet officier retraité a, plusieurs fois, été cité par d’autres témoins dont Laurent Ilboudo qui a comparu le 6 décembre dernier.  

En octobre 1987, Eugène Somda a le grade de sergent-chef. A l’instar de Laurent Ilboudo, il était à la tête d’un des trois groupes de sécurité qui constituaient la garde rapprochée de Thomas Sankara. A la date du 15 octobre de cette année-là, le groupe du sergent-chef Somda n’était pas de service. Ce groupe, dit-il, venait tout juste d’être relevé par celui de Laurent Ilboudo. « Lorsque je suis descendu de la garde, j’ai continué à l’infirmerie de la présidence où j’exerçais par ailleurs comme attaché de santé. A l’infirmerie, j’ai appris qu’une réunion allait se tenir à 9 heures. Je suis alors retourné au Conseil pour revenir plus tard à la présidence lorsque la réunion a pris fin », a relaté celui qui est à la retraite depuis 2019.

« J’ai menti en disant que j’ai été appelé par Diendéré »

En repartant à l’infirmerie de la présidence pour ses consultations, le témoin dit avoir remarqué un attroupement au niveau de la Radio nationale, sans y accorder de l’importance car, dit-il, cela y allait de la sécurité du président. Mais une fois à la présidence, il entendra les premiers coups de feu en provenance du Conseil. Accompagné d’un soldat, le sergent-chef Eugène entreprend de se rendre sur les lieux des tirs pour comprendre ce qui s’y passe, d’autant plus que le président s’y trouvait mais également pour apporter des soins aux éventuels blessés. Mais arrivé au niveau de la Radio nationale, l’accès au Conseil lui a été refusé par un officier, en la personne d’Abdrahamane Zetiyenga, accusé dans le dossier. « Il m’a dit que je ne pouvais pas me rendre au Conseil parce qu’il a reçu du lieutenant Gilbert Diendéré l’ordre de ne laisser passer personne lorsque le président s’y trouve. Après de vaines négociations, je suis donc revenu à la présidence. Là, des soldats qui s’y trouvaient m’ont dit de repartir sinon ils allaient faire feu », a fait savoir l’officier à la retraite.

Le général Gilbert Diendéré aurait promis à l’adjudant-chef major Somda Eugène que la révolution allait continuer après la mort de Thomas Sankara

De la présidence, Eugène Somda dit être reparti, seul, à la radio pour tenter, une deuxième fois, de convaincre Zetiyenga d’une nécessité pour lui d’accéder au Conseil.  « Je lui ai dit ‘’mon adjudant, il faut que je rentre au Conseil ’’. Cette fois il ne s’y est pas opposé mais à condition que je sois escorté. Un soldat du nom  de Boly a été désigné pour m’escorter mais à l’entrée du Conseil, j’ai été surpris de constater qu’il avait fui. Nabonswendé, un autre soldat que je connaissais et qui me respectait bien, m’a stoppé en disant ‘’halte là !’’, il m’a désarmé et m’a demandé ce que je venais chercher là. J’ai menti en lui faisant croire que j’ai été appelé par Gilbert Diendéré, parce qu’auparavant, j’avais téléphoné et on m’avait dit qu’il était là. Celui que j’avais eu d’ailleurs au téléphone, un sous-officier, m’avait fait savoir que c’est le lieutenant Diendéré qui a dit de  procéder à des tirs de dissuasion pour arrêter des éléments de l’ETIR qui venaient au Conseil », a expliqué le témoin

« Au fond de moi je me suis dit que Zetiyenga est un Juda »

A Amidou Maïga, le chauffeur de Blaise Compaoré, qui se tenait à côté d’un véhicule, Nabonswendé aurait donné le motif de la présence  d’Eugène Somda au Conseil. Et ce conducteur, après s’être engouffré dans un bâtiment en est ressorti avec Gilbert Diendéré, selon le témoignage d’Eugène Somda. « Quand Diendéré est sorti, il a tiré un banc qui n’était pas loin et nous nous sommes assis. Je lui ai demandé ce qui se passait. Il m’a fait savoir que la réunion tenue le matin a dégénéré et le président est mort avec quelques-uns de nos éléments en me montrant des corps. A la vue des cadavres, j’ai frémi. Il m’a dit que le président est mort mais la révolution va continuer. Il m’a alors posé la question de savoir combien d’hommes il y avait à la présidence. Et quand je lui ai fait savoir que tout le monde a fui sauf quelques dix soldats avec moi, il m’a instruit de dire à ces soldats de ne pas tirer, de ne rien faire, et d’attendre des instructions », a relaté le sexagénaire.

Le barreau burkinabè étant en deuil, l’audience a été suspendue

Après avoir pris congé de Gilbert Diendéré, Eugène Somda dit avoir eu un dernier échange avec Zetiyenga qui, toujours à son poste à la Radio, lui aurait demandé ce qui se passait au Conseil. « Je lui ai dit que le président était mort. Il a attrapé sa tête en criant ‘’Quoi ?’’. Je me suis dit au fond de moi, voilà un hypocrite, un traître, un Juda », se souvient le témoin.

« On m’a cru mort au Conseil »

De nouveau à la présidence, Eugène K. Somda dit avoir attendu en vain les instructions annoncées. Jusqu’à 19 heures où de nouveaux tirs se sont fait entendre. « Les autres soldats et moi sommes rentrés au palais, dans un fossé où on est resté jusqu’à 2 heures du matin », a-t-il expliqué. Pas d’instruction et pas non plus de malade à soigner jusqu’au matin du 17 octobre. Ce jour-là,  le chauffeur d’une ambulance est envoyé à la présidence pour conduire l’attaché de santé à domicile. Une visite expéditive aurait prévenu  le conducteur. « J’ai trouvé le voisinage mobilisé. Un voisin m’a dit que ce n’est pas mauvais que je sois là, qu’ils ont appris la mort d’un militaire du nom de Somda et qu’ils ont cru que j’étais l’infortuné. Je suis retourné à l’infirmerie, j’y suis resté jusqu’au lendemain 18 date à laquelle j’ai été autorisé à rentrer chez moi. Ainsi, je suis resté à la maison les jours suivants », a déclaré le témoin, en guise de conclusion de sa déposition.

Suite au témoignage d’Eugène Somda, l’audience à été suspendue pour reprendre le mercredi 15 décembre. Raison de cette suspension inhabituelle, une sollicitude du barreau qui est éplorée par la disparition d’un avocat, en la personne de Me Mamadou Bambara. Et pas que, le parquet militaire est endeuillé par la Grande faucheuse qui a également emporté un magistrat stagiaire, a annoncé le président de la Chambre, Urbain Méda. Eu égard à ces imprévues, l’audience de la semaine s’étendra jusqu’au vendredi 17 décembre 2021, a par ailleurs décidé la Chambre.

Bernard Kaboré 

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