Justice

Assassinat Thomas Sankara : « Hyacinthe Kafando m’a dit que je n’ai pas été tué parce que je n’étais au courant de rien »

L’adjudant-chef major à la retraite, Laurent Ilboudo, fut le chef d’un des trois groupes de militaires qui constituaient la garde rapprochée de l’ex-président Thomas Sankara. C’est le groupe de ce sergent-chef d’alors qui était de service le 15 octobre 1987. Témoin dans le dossier sur l’assassinat du chef de la Révolution et de 12 de ses compagnons, Laurent Ilboudo a comparu ce 6 décembre 2021 devant la chambre de première instance du tribunal militaire. A l’en croire, il a été désarmé lors de l’assaut au Conseil de l’Entente par Hyacinthe Kafando qui l’aurait expressément épargné des balles assassines.

L’ex-président Thomas Sankara

La déposition d’un témoin comme Laurent Ilboudo n’était certainement pas la moins attendue à ce procès sur l’assassinat de Thomas Sankara et de ses 12 compagnons d’infortune. En effet, cet adjudant-chef major à la retraite et sergent-chef  à l’époque des faits était l’un des responsables de la sécurité rapprochée du défunt président. Plus précisément, il commandait l’un des trois groupes de militaires qui constituaient cette garde rapprochée. Mieux, le groupe dont il était le chef était de service le 15 octobre 1987, jour où le président et les 12 autres personnes ont été tués au Conseil de l’entente.

Après avoir juré de dire la vérité et rien que la vérité, Laurent Ilboudo, 66 ans, a été invité à livrer sa déposition. Le matin du 15 octobre 87, il était au palais présidentiel, avec les enfants du président, Auguste et Philippe. Entretemps, le président sort pour se rendre à la présidence. L’équipe de garde en service s’est alors mise en branle. Arrivé à la présidence, toujours selon le témoin, le chef de l’Etat est monté à l’étage et en est redescendu avec des documents. Puis, direction le Conseil de l’Entente où Thomas Sankara devait assister à une réunion.

« J’étais nez à nez avec Hyacinthe Kafando »

Ce jour-là, Laurent Ilboudo dit avoir joué le rôle d’aide de camp en l’absence du titulaire de ce poste.  « Une fois au Conseil, j’ai accompagné le président jusqu’à la salle de réunion où j’ai déposé sa mallette sur une table. Lorsque j’ai quitté la salle, je me suis rendu au secrétariat du Conseil pour saluer des éléments qui s’y trouvaient. Et c’est du secrétariat que j’ai entendu les coups de feu. Immédiatement, je suis sorti pour constater ce qui se passait. J’ai vu le véhicule de Blaise Compaoré qui venait de se garer dans le couloir. J’avais en face de moi Hyacinthe Kafando qui m’a dit ‘’mains en l’air ! ’’ et m’a ordonné de désagrafé mon ceinturon et de laisser tomber mon pistolet. Après cela, Arzouma Ouédraogo dit Otis et Nabié N’Soni qui étaient avec Hyacinthe ont conduit Drissa Sow et moi vers le côté nord du Conseil où ils nous ont fait coucher à plat ventre. De là, nous avons été conduit à l’étage aux environs de 18 heures ou 19 heures. Au cours de la nuit, Hyacinthe Kafando est venu à l’étage, m’a demandé si je savais pourquoi je n’avait pas été tué. J’ai dit non et il m’a fait comprendre que c’est parce que je ne savais rien du coup », a relaté le témoin.

« Il n’y avait pas de Soré Paténéma parmi nous »

Drissa Sow et Laurent Ilboudo, selon ce dernier, ont reçu la visite de trois personnes le lendemain matin, aux environs de 8h. Il s’agit de Hyacinthe Kafando, Tibo Ouédraogo et Gilbert Diendéré. Selon le témoin, c’est à cette occasion que lui et son codétenu ont recouvré la liberté. Mais pas sans conditions : « Tibo nous a sommé de nous tenir tranquille », a expliqué Laurent Ilboudo.  

Répondant aux questions du président de la chambre, Urbain Méda, le témoin a fait savoir qu’à l’époque des faits, difficile était pour lui et ses hommes  de réagir à l’assaut du commando, tant il y eût l’effet de surprise et un manque d’informations . Il a ainsi révélé que ni lui ni ses hommes n’étaient au courant de la réunion qui s’est tenue au Conseil le matin du 15 octobre entre le général Diendéré et les gardes rapprochées de Blaise Compaoré et de Thomas Sankara.

Au tour des autres parties au procès d’interroger le témoin, les débats se sont cristallisées autour de la présence ou non de l’accusé Bossobé Traoré dans le groupe de militaires qu’il commandait et au Conseil de l’Entente au moment de l’assaut. Foi de Laurent Ilboudo, Bossobè Traoré n’était pas de son groupe le 15 octobre 1987. « Chacun des trois groupes étaient composés de 9 personnes hormis l’aide de camp. J’avais donc sous ma coupe : Sow Drissa, Ouédraogo Oualilaye, Ouédraogo Noufou, Tuina Alphonse, Zidwemba Claude et trois chauffeurs à savoir Somda Der, Abel Koala et Gouem Abdoulaye », a expliqué l’adjudant-chef-major à la retraite, qui s’est voulu catégorique quant à la non appartenance de Bossobè Traoré à son groupe et au fait ce dernier n’était pas de service le jour fatidique.

Pourtant, cet ancien soldat , lors de son audition, avait déclaré s’être rendu au Conseil avec le chef du groupe et d’autres militaires dont Soré Paténéma que Laurent Ilboudo dit ne pas connaitre. Et c’est d’ailleurs au Conseil, et au moment des tirs que Bossobè Traoré dit avoir reçu au bras une balle d’Arzouma Ouédraogo qui aurait fait usage d’un fusil à pompe. « C’est par la suite que j’ai appris qu’il était au Conseil. Je l’ai d’ailleurs su parce qu’après les évènements j’ai appris qu’un des nôtres était blessé et se trouvait à l’hôpital. On est allé lui rendre visite, et ce jour-là il avait l’air de vouloir fuir. Cela m’a amené à me poser des questions parce qu’on a dit que c’est lui qui nous a trahi en informant les hommes du commando de l’arrivée du président Thomas Sankara au Conseil », a expliqué Laurent Ilboudo.

« Pourtant j’étais du groupe »

Appelé à la barre pour une confrontation, Bossobè Traoré a maintenu ses déclarations tendant à faire croire qu’il faisait bel et bien partie du groupe du témoin et que ce dernier a dû oublier des choses. Et de rappeler qu’à l’époque, il a fait partie de ce « groupe Laurent Ilboudo » avant d’être muté dans un autre puis ramené dans son groupe initial, comme d’autres soldats, du fait de l’incompétence de leurs remplaçants.

Avocat de la partie civile, Me Prosper Farama s’est intéressé aux types d’armes utilisés par le commando pour effectuer les premiers coups de feu. Pour le témoin, il n’y a pas de doute, le bruit des tirs révélait qu’il s’agissait de kalachnikovs, contrairement à l’argument du fusil à pompe soutenu par Bossobè Traoré.

A la rescousse de son client, Me Maria Kanyili a défendu toute idée tendant à faire croire que Bossobè Traoré était la taupe à la solde du commando. Interrogeant donc le témoin sur les moyens de communication d’alors, Laurent Ilboudo a fait savoir que seuls lui et les deux autres chefs de groupe, Somda Eugène et Emile Nacoulma, disposaient de talkie-walkie. Cela a fait dire à Me Kanyili que son client ne pouvait pas à l’époque jouer à la taupe sans moyens de communications à même d’informer à l’avance le commando. Pour l’avocate, c’est plutôt Laurent Ilboudo qui a fait preuve de légèreté lors de l’assaut, n’ayant rien entrepris pour empêcher l’assassinat du président.

Pour l’avocate, c’est plutôt Laurent Ilboudo qui était de mèche avec le commando. Et pour preuve, « il n’a même pas reçu une gifle pendant que certains de ses éléments ont été tués ou blessés ». Mieux, croit savoir l’avocate, Laurent Ilboudo a, par la suite, reçu trois décorations dont une de la médaille de la résistance.

Pas exact, selon le témoin qui dit avoir été affecté à Pô après les évènements mais arrêté plus tard, en décembre 1989, pour être enfermé nu avec d’autres  personnes dans des toilettes.

Bernard Kaboré

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