La chronique de Bernard Kaboré

A la barre : le peintre rasta qui cachait de la drogue sous des briques

Prévenu pour détention et consommation de stupéfiants et reconnu coupable, Grégoire, artiste peintre de 40 ans, a été condamné à 24 mois de prison et une amende de 500 000 F CFA, le tout assorti de sursis, par le tribunal de grande instance de Ouaga 1. Mais sa peine aurait été plus lourde s’il n’avait pas eu la clémence des juges en justifiant sa culpabilité par une histoire on ne peut plus bouleversante. Lisez plutôt.

Grégoire : c’est le prénom que nous attribuons à cet homme tout juste  quadragénaire. Visage grave, barbe et moustache assez mises en valeur, ses cheveux convertis en dreadlocks font de lui un rasta aux yeux du commun des Ouagalais. Grégoire est l’aîné d’une famille polygame et nombreuse. En gros une vingtaine d’enfants. Mais une famille aux revenus modestes. Son père marabout, n’avait pas toujours de quoi s’occuper d’un si grand monde.  

Cet environnement a sans doute contraint le quadragénaire à s’investir très vite dans un métier. De quoi lui permettre de subvenir à ses besoins et d’épauler la fratrie. C’est ainsi qu’il a fait de la peinture et de la sculpture un gagne-pain. Du talent dans ces domaines d’activités, Bon Dieu lui en a donné d’ailleurs. Pour preuve, son parcours et ses œuvres ont retenu l’attention des plus hautes autorités du Ghana voisin, où en long séjour dans le cadre d’un perfectionnement de son art, il a été décoré d’une médaille de mérite. Pour tout dire, Grégoire ne se débrouille pas mal et mène une vie plus ou moins rangée.

Tout a basculé quand son père marabout est tombé malade. «Victime d’un empoisonnement suite à un conflit foncier », comme c’est la conviction de Rasta qui a dû écourter son séjour à l’extérieur du pays pour s’occuper de son géniteur fragilisé et abandonné par les siens. Jusqu’à ce que ce dernier rende l’âme.

« Je prenais la drogue parce que… »

Marqué  par ce douloureux épisode, le père de deux enfants n’a pas tardé à sombrer dans une vie de débauche, s’adonnant à la consommation d’alcool frelaté, avec un prétendu espoir de retrouver la paix de l’esprit. Mauvaise option, d’autant plus que l’objectif ne sera pas atteint. Et sur conseil d’un ami, pas si ami que cela,  Grégoire passe à une étape supérieure : la prise de stupéfiants. Auprès de l’ « ami » en question, il se procure de temps à autre du chanvre indien qu’il prend du plaisir à consommer entre la réalisation de deux tableaux. Peu importe si le tableau de sa propre vie s’assombrit. Ça murmure d’ailleurs dans le quartier que le fils du défunt marabout  est un drogué. Les échos lui parviennent. Il sait aussi qu’il est dans le collimateur de la police.

Justement. Renseignée, la police commet une mission d’enquête qui débarque un matin d’avril 2021 chez le peintre. Dans des tenues civiles, les enquêteurs se présentent d’abord comme des miniers à la recherche d’un marabout capable de faire prospérer leurs affaires. Puis en officiers déclarés, ils procèdent à l’interpellation du suspect ainsi qu’à la perquisition d’une pièce qui sert à la fois à ce dernier de chambre à coucher et d’atelier. L’enquête est concluante : dans la pièce, deux sachets contenant du chanvre indien ont été retrouvés sous deux briques recouvertes de contreplaqués.

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C’est ainsi que Grégoire a été déféré au parquet, avant de comparaître le 3 août 2021 devant les juges du tribunal de Grande instance de Ouaga 1 pour détention et consommation de stupéfiants. Sous une chemise noire au col rouge, la barbe et la moustache, toujours bien taillées, l’homme a livré à la barre une déposition qui diffère d’avec ses propos pendant l’enquête préliminaire. En  effet, contrairement à la police où il a  justifié sa détention et sa consommation de stupéfiants par une recherche d’inspiration dans le cadre de son travail d’artiste, Grégoire, devant le tribunal a construit une ligne de défense basée sur la mort de son père. Ce dernier dont la maladie et la disparition l’ont « traumatisé ».

« Monsieur le président, la clémence de votre tribunal »

Cette dernière version a vraisemblablement emporté la conviction des juges. Surtout après cette confession de celui contre qui le procureur a requis 24 mois dont 12 fermes et une amende d’un million assortie de sursis : « Messieurs les juges, je demande votre clémence afin d’être relaxé. Pour tout vous dire,  ma détention qui dure maintenant trois mois a empiré la situation financière de ma famille. Au début de mes ennuis judiciaires, un monsieur est allé voir ma mère, lui a pris 300 000 F, promettant de me trouver un avocat. Finalement, je n’ai pas vu cet avocat, et le monsieur en question a disparu sans rembourser la somme qui représente pourtant des années d’économies et des prêts. Depuis, ma mère se trouve dans un état de détresse. Si vous me permettez de retrouver mon gagne-pain, je ferai de mon mieux pour apaiser ses souffrances… »

Comme si ces mots avaient touché le cœur du juge, celui-ci a décidé que le déclaré coupable ne sera pas maintenu dans les liens de la prévention. En effet, Grégoire a été condamné à 24 mois de prison et 500 000 F le tout assorti de sursis.

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Avec cette sentence, il sait qu’il n’a plus droit à l’erreur, en tout cas s’il veut bien rester à côté de sa mère et prendre soin d’elle comme il l’a promis. D’ailleurs, avant de quitter la barre,  le quadragénaire s’est promis d’abandonner à jamais son péché mignon. Dans son atelier, il fera juste de la peinture et rien que de la peinture, « cette manière d’être, cette tentation de respirer dans un monde irrespirable », comme définissait le peintre français Jean Bazaine.

Bernard Kaboré

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