Justice

Assassinat Thomas Sankara : « J’ai l’impression que le président a voulu se faire tuer », Aboulassé Kagambèga

Adjudants-chefs à la retraite, Aboulassé Kagambèga et Famoro Ouattara furent membres de la sécurité rapprochée du président Thomas Sankara. Témoins dans le cadre du dossier sur l’assassinat du patron du Conseil national de la Révolution, les deux sergents chefs d’alors ont comparu ce 22 décembre 2021 devant la Chambre de première instance du tribunal militaire. Relatant les évènements du 15 octobre 1987, le témoin Kagambèga a dit avoir eu l’impression que le chef de l’Etat a voulu se faire tuer car il était averti de la menace qui régnait au Conseil de l’entente.

Pour les témoins Famoro Ouattara et Aboulassé Kagambèga, le président aurait pu déjouer son assassinat

Des témoins, voire des accusés, qui se sont succédés à la barre de la chambre de première instance du Tribunal militaire se sont accordés sur un point : peu avant les évènements du 15 octobre 1987, des rumeurs faisant état de mésententes entre Blaise Compaoré et Thomas Sankara polluaient l’atmosphère de la vie politique nationale.

A l’entame de sa déposition, le témoin Aboulassé Kagambèga s’est d’ailleurs attardé sur cette tension entre les deux leaders révolutionnaires avant de déballer ce qu’il sait du jour-J. « Etant de la sécurité du président, nous lui avons demandé un jour si ces rumeurs lui parvenaient. Nous lui avons fait savoir que si sa sécurité était menacée nous avions à prendre les devants. Mais Thomas Sankara a toujours refusé que l’on prenne une arme contre Blaise Compaoré », a relaté l’adjudant-chef à la retraite.  Selon le témoin, la garde rapprochée du président avait même conseillé à ce dernier de réduire ses déplacements au Conseil de l’Entente. « Nous lui suggérions de tenir plutôt les réunions au palais. Mais c’est comme si le chef de l’Etat voulait se faire tuer », a estimé celui qui n’avait alors que le grade de sergent-chef.

« Une Cascavel s’est garé devant la présidence »

S’agissant de son agenda du jour fatidique, Aboulassé Kagambèga a dit être allé à la présidence peu avant les coups de feu au Conseil, lui qui venait de se rétablir d’une fracture au bras. « A mon arrivée à la présidence, j’ai demandé où se trouvait le chef de l’Etat. On m’a dit qu’il était au Conseil. J’ai crié ‘’Ah !’’ Peu après, on a entendu les tirs. Par la suite, un soldat qui a quitté le Conseil est venu à la présidence, tout essoufflé, et nous a informés que le président a été tué. J’ai fait savoir aux éléments qui étaient là que si nous ne quittions pas les lieux, on viendrait nous liquider. Je n’avais pas fini de dire cela qu’une Cascavel (photo d’en bas) s’est garée devant la présidence », se souvient l’ancien garde.

Après l’assaut au Conseil, un véhicule de ce type (photo) aurait débarqué devant la présidence

Entretemps, l’aide de camp du président, Etienne Zongo et son adjoint Famoro Ouattara qui étaient absents ont rejoint la présidence, selon Aboulassé Kagambèga. Le président tué, les éléments de la garde se seraient résolus, après concertations, à ne mener aucune offensive. « J’ai réussi à convaincre l’aide de camp et son adjoint de se mettre en lieu sûr », a fait savoir le témoin qui précise que dans la foulée, une arme collective, un PKMS qui aurait pu aider à une éventuelle riposte en cas d’attaque a été trouvé dépourvu d’une de ses pièces, donc non opérationnelle. Cette arme, selon Aboulassé Kagamèga était confiée au soldat Bossobè (accusé dans ce dossier), membre de la garde rapprochée du président.

« Nous étions à court de munitions depuis trois mois »

Suite à la déposition du témoin, le président de la Chambre, Urbain Méda, a souhaité que ce dernier revienne sur un aspect évoqué devant le juge d’instruction, à savoir une absence de dotation de la sécurité présidentielle en minutions, deux à trois mois avant le coup d’Etat. L’adjudant-chef à la retraite a expliqué que cette dotation relevait de la responsabilité de Gilbert Diendéré, alors chef de corps adjoint du Centre national d’entrainement commando (CNEC) et accusé dans ce dossier. « Les munitions qu’on demandaient étaient destinées aux entrainements qu’on effectuait régulièrement. On nous a toujours promis qu’on allait en recevoir mais rien ne nous a été accordé jusqu’au jour du coup », a expliqué le témoin qui dit avoir été arrêté de 1988 à 1990, radié des effectifs de l’armée avant d’être réhabilité en 1992.

Selon Famoro Ouattara, Hyacinthe Kafando (Photo) faisait partie du commando ayant mené l’assaut mortel au Conseil

Sur la non dotation en munitions, une confrontation entre Aboulassé Kagambèga et Gilbert Diendéré a été jugée nécessaire par la défense de l’accusé. A la barre, l’ancien chef de corps du CNEC et de fait responsable de la sécurité générale de la présidence et du conseil a déclaré n’avoir pas reçu de demande de munitions de la part de l’aide de camp, comme l’avait indiqué le témoin ; Et d’expliquer que les demandes de munitions se faisaient alors à travers des bons. « Il n’y a jamais eu de refus ou de retard de dotation en munitions et la priorité était accordée à la sécurité rapproché du président », a assuré l’accusé. Pour donner du crédit à ses propos, Gilbert Diendéré a renvoyé la Chambre à la déposition du témoin Emile Nacoulma, un autre membre de la garde rapprochée. A la barre, ce dernier avait fait savoir qu’après l’attaque du Conseil, le magasin d’armes de la présidence a été cassé et les éléments de la garde du président se sont servis de grenades.

« Je n’ai jamais tiré une arme lourde »

Pour Aboulassé Kagambèga, il est possible que le général Diendéré ne soit pas de mauvaise foi s’il déclare n’avoir pas reçu une demande de l’aide de camp. Mais qu’à cela ne tienne, la sécurité rapprochée du président était face à l’incapacité de réaction après la mort du président. « Chaque élément de la garde était doté d’une kalachnikov  avec deux chargeurs de 20 cartouches chacun. Que pouvait-on faire contre une Cascavel ?», s’est interrogé le témoin.

Bossobé Traoré a nié avoir été le responsable du PKMS à la présidence

Tout comme le général Diendéré, l’accusé Bossobè Traoré a, lui aussi, été appelé à la barre pour une confrontation, précisément au sujet du PKMS saboté. Droit dans ses bottes, le soldat retraité a nié avoir saboté l’arme collective. « Je n’ai jamais été utilisateur de cet type d’arme, jamais, je dis bien jamais », a juré le mis en cause. Sur un autre point, Me Maria Kanyili, avocat de Bossobè Traoré a voulu une précision sur une posture que le témoin a attribuée à son client lors de l’instruction du dossier. « Qu’est-ce qui vous permet de dire que Bossobè était de mèche avec les Hyacinthe Kafando ? », a interrogé Me Kanyili. Et Aboulassé Kagambèga de répondre : « c’est une déduction simple puisqu’il était au Conseil le 15 octobre pendant que l’arme qui lui a été confiée a été saboté ».

Famoro Ouattara écrase une larme d’émotion

Appelé à la barre suite à la déposition d’Aboulassé Kagambèga, le témoin Famoro Ouattara a livré un témoignage pour le moins complémentaire à celui de son prédécesseur. Adjoint à l’aide de camp de Thomas Sankara en 1987, Famoro n’était ni avec le président, ni à la présidence ou au Conseil lors de l’assaut. « Lorsque les tirs ont commencé, j’étais en train  de faire réparer ma moto. Le mécanicien avait démonté le moteur. Je le lui ai fait remettre et j’ai immédiatement rejoint le palais où Eugène Somda (Ndlr : un membre de la garde rapprochée) m’a informé que le président était tombé. Entre responsables de la sécurité, nous nous sommes concertés et  avons décidé de libérer les jeunes. Aboulassé m’a suggéré de chercher une ambassade où j’allais me protéger, étant le plus connu. C’est ainsi que je me suis retrouvé à l’ambassade de Cuba où j’ai passé toute la nuit avant d’être conduit chez moi par le lieutenant Oumar Traoré. Une nuit, des gendarmes sont venus chez moi pour me conduire à la gendarmerie. Je leur ai dit que je ne bouge pas parce qu’il y avait un couvre-feu », a relaté le témoin qui n’a pu s’empêcher d’interrompre son récit par une larme d’émotion.

Poursuivi jusqu’à Mangodara

Par la suite, Famoro Ouattara dit avoir reçu une permission de se rendre dans son village, à Mangodara, où il sera pourtant arrêté par la gendarmerie et ramené à Ouagadougou. « J’ai été détenu pendant vingt mois, mon père est même décédé pendant mon incarcération », a indiqué le témoin, la voix toujours nouée d’émotion.

L’adjudant-chef à la retraite, Famoro Ouattara

A la question du président de Chambre de savoir ce qui choque aujourd’hui l’adjudant-chef Ouattara, celui qui porte aujourd’hui l’écharpe de maire de Mangodara a dit son regret d’avoir failli à une noble mission à lui confiée, à savoir la sécurité du président. « Suite aux rumeurs, nous aurions pu désobéir au chef de l’Etat en prenant les devants des choses », regrette encore le sergent-chef d’alors. De la composition du commando qui a assassiné le président et douze de ses compagnons au Conseil, le témoin s’est appuyé sur des informations qui lui auraient été rapportées en affiramant que faisaient partie de ce commando Hyacinthe Kafando, Arzouma Ouédraogo dit Otis, Nabié N’Soni, Amadou maïga et Yamba Ilboudo Elysée.

Bernard Kaboré

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