Société

Médiateur du Faso: la patronne de l’institution dans les locaux de Lobspaalga.com

Il est la seule institution dont le nom et celui du premier responsable sont identiques. Le Médiateur du Faso puisque c’est de cela qu’il s’agit, a été créé en 1994 avec comme premier responsable à cette époque, le général Tiémoko Marc Garango. Cette structure d’après la constitution, est l’intercesseur gracieux qui joue le rôle d’interface entre l’Administration publique et les citoyens. La magistrate Fatimata Sanou/Traoré est le 6e médiateur du Faso que notre pays ait connu. Pour mener à bien ses missions, elle veut mieux faire connaitre l’institution aux hommes de médias car à ses yeux, la communication joue un rôle très important. D’où cette visite au doyen des quotidiens du Burkina mais aussi à son  » petit frère » le journal en ligne baptisé Lobspaalga.com le mardi 26 avril 2022. A cette occasion, les échanges étaient à bâton rompu avec la magistrate de profession.

Madame le Médiateur du Faso(à gauche) dans les locaux de Lobspaalga.com

Du 20 au 22 avril dernier, vous avez tenu des audiences foraines dans la ville de Bobo-Dioulasso. En quoi étaient-elles nécessaires ?

Je précise que ces audiences foraines ont été possibles grâce à un partenariat que nous avons signé avec le Programme d’approvisionnement en eau potable et assainissement (PAEA), piloté par le ministère de l’Eau et de l’Assainissement et financé par la Banque mondiale. Ledit projet prend en compte quatre régions, dont les Hauts-Bassins. Dans sa mise en œuvre, des difficultés peuvent apparaître, car dans l’implantation d’un ouvrage il peut y avoir des expropriations de terrains pour cause d’utilité publique. Le projet a donc estimé que pour éviter qu’on le traîne régulièrement en justice, il lui fallait nouer un partenariat avec l’institution médiateur du Faso, qui a une expertise dans la gestion des plaintes. La mission traditionnelle de cette structure c’est de traiter toutes les réclamations relatives aux dysfonctionnements dans les administrations ou dans les établissements qui bénéficient de fonds publics. Lorsqu’il y a des problèmes dans ces différentes entités, au lieu d’aller vers la justice, beaucoup de gens préfèrent venir vers le médiateur du Faso. Nous recevons ces plaintes et nous les instruisons. Il ne suffit pas de venir chez le médiateur pour dire que dans telle administration on a mis « le pied » sur mon dossier depuis des années et je n’arrive pas à avoir de suite. Il faut pouvoir justifier votre plainte. Souvent dans les collectivités, il y a des litiges fonciers comme les doubles ou triples attributions, et tout cela touche au vivre-ensemble. En pareil cas, nous allons vers ladite administration avec tous les éléments, notamment les pièces justificatives, pour corroborer les propos du plaignant. Avec les profils variés que nous avons en notre sein (professionnels des ressources humaines, des magistrats, administrateurs civils, etc.), nous étudions avec compétence les différents dossiers et nous faisons des recommandations adressées à l’Administration. Lorsque la réclamation est fondée, à 98% elle est suivie. En réalité, les administrations comprennent que le médiateur n’est pas un censeur, mais un conseil. On évite d’aller en justice et de s’enliser dans des pratiques qui ne sont pas saines. Dans l’exécution des projets, il y a des cas de corruption qui sont soulevés par moments. Pour ces cas, c’est l’ASCE-LC (Autorité supérieure de contrôle d’Etat et de lutte contre la corruption) qui est saisie. On a la chance d’être représenté dans les 13 régions du Burkina alors que l’autorité en charge de la lutte contre la corruption se trouve uniquement au niveau central. S’il y a des plaintes relatives à l’implantation des ouvrages et que ce sont des cas de corruption qui freinent l’avancée, nous les transmettons à l’ASCE-LC. Nous trouvons toujours des solutions apaisées, car avant tout il s’agit la plupart du temps de populations d’un même village.

Qu’est-ce que ces audiences foraines vont changer concrètement dans le fonctionnement de votre institution ?

Quand nous sortons pour les audiences foraines, nous en profitons pour recueillir les préoccupations des populations. A Bobo-Dioulasso, par exemple, nous nous sommes rendu compte à la fin des audiences foraines qu’il y avait des gens qui connaissaient vaguement notre institution. Ce fut donc pour nous l’occasion de clarifier nos missions, nos domaines d’intervention et surtout de montrer comment nous travaillons. Séance tenante, nous avons reçu plus de dix réclamations. Beaucoup de personnes ont pris nos fiches et nous ont dit qu’elles avaient des problèmes, mais ne savaient pas qu’elles pouvaient s’adresser au médiateur du Faso avant une saisine des juridictions. J’en profite pour préciser que la saisine du médiateur du Faso n’empêche pas d’aller en justice. Généralement quand les gens saisissent la justice, ils trouvent le processus trop long.
Et si l’affaire suit son dénouement judiciaire, il faut dire que le juge est en
réalité un arbitre. Il n’a pas le droit de vous conseiller. S’il attire votre attention sur le chemin à prendre, il porte un coup à son impartialité. Ça voudrait dire qu’il vous aurait aidé au détriment de l’autre.
Alors que le médiateur ne cherche pas à donner raison à X ou à Y. Il cherche une solution apaisée et consensuelle, donc il guide les uns et les autres. En clair, lorsque vous saisissez le médiateur du Faso, on examine votre dossier en vue de voir s’il ne manque pas d’éléments. Par la suite, on approche l’administration pour la résolution du litige.

Ces audiences ont donc permis de briser les barrières entre vous et le citoyen…

Les audiences vont changer beaucoup de choses. Notre institution sera plus proche du citoyen, comme le dit notre slogan et comme nous le recommande la loi. Sur notre logo, figurent deux personnes : l’une porte une écharpe aux couleurs du Burkina, elle est censée représenter l’Administration ; quant à l’autre, c’est l’administré. Au milieu, il y a un cercle tout blanc, c’est le médiateur du Faso. Quand vous regardez, vous voyez que le médiateur est beaucoup plus proche du citoyen parce que nous nous disons que le citoyen est souvent démuni par rapport à la puissance de l’Administration. C’est, du reste, le constat que nous faisons avec la plupart des citoyens qui nous saisissent. Il y a des gens qui ont des problèmes dans l’Administration, et ce depuis plus de deux ans. Alors ils cherchent en vain un interlocuteur. « Le médiateur du Faso, c’est le bras long de ce genre de citoyen. » Pourquoi j’ai utilisé cette expression ? Très souvent, quand les gens ont un dossier dans l’Administration, ils appellent un proche pour savoir s’il ne connaît pas quelqu’un dans telle institution ou dans telle autre car ils veulent qu’on les aide à avoir la position de leur dossier. C’est ce qui se fait couramment. Celui qui ne connaît personne dans une administration va faire comment ? Le médiateur est là pour ces personnes. Le médiateur est « votre bras long ». Il va se rendre dans l’Administration concernée pour savoir ce qui explique la longueur excessive dans le traitement de votre dossier et ce qui se passe pour que cette Administration refuse d’exécuter une décision de justice. J’en profite pour vous dire que le médiateur du Faso est compétent lorsque le citoyen a une décision de justice qui est définitive et qu’après des démarches l’Administration n’arrive pas à le payer. C’est le seul cas où la loi dit que le médiateur du Faso peut faire des injonctions à l’Administration afin qu’elle s’exécute. Tout cela parce que l’Administration est tellement puissante qu’on ne peut pas saisir ses biens. Quand vous avez une créance dans une banque, votre huissier se déplace et par un coup d’éclat il commence à saisir. Mais si votre problème c’est contre l’Etat, vous ne pouvez pas agir ainsi.

Combien de plaintes recevez-vous en moyenne par an ?

Nous recevons beaucoup de plaintes. Ces trois dernières années, nous avons reçu plus de 2 400 dossiers qui ont impliqué plus de 18 000 plaignants. Par an, les personnes impactées par les dossiers que nous avons au niveau du médiateur du Faso sont estimées à plus de 200 000. Donc s’il y a plus de 2 200 dossiers sur 3 ans, on peut faire le calcul pour savoir combien de dossiers nous recevons par an. Dans le traitement de ces dossiers, nous avons 90% de taux de réussite. Ça veut dire que les gens sont satisfaits quand ils viennent voir le médiateur du Faso. Nos recommandations « ont force de loi ». Je dis cela parce que si elles ne sont pas exécutées, nous pouvons produire un rapport spécial adressé au président du Faso. S’il nous arrive d’atteindre un tel extrême, l’autorité incriminée est obligée de donner une suite favorable à la plainte.

Quelle est la nature de ces plaintes ?

Il y a de plus en plus la question de reconstitution de carrière que nous résolvons. Outre cela, il y a la question des litiges fonciers. Concernant ce point, on a un grand nombre de dossiers. S’y ajoute la question de l’exécution des marchés publics dans la mesure où certains opérateurs économiques au Burkina peinnent à se faire payer par certaines administrations publiques après exécution d’une prestation.

Concernant les médias, quels sont les litiges que vous réglez ?

Ça peut être des reconstitutions de carrière puisqu’il existe des médias publics. Je viens de clôturer un dossier y relatif.
Souvent, il y a des contrats qu’on ne renouvelle pas à temps et il se pose par la suite des questions de délai.

Donc un travailleur d’un média privé comme L’Observateur Paalga ou de Lobspaalga.com peut vous saisir?

Dans ce cas, nous allons vérifier en premier lieu si L’Observateur Paalga mène une mission de service public.

Comme tout média…

Si nous analysons et qu’il est avéré que vous menez une mission de service public, nous devenons compétent. Mais pour un litige entre deux privés, le médiateur du Faso n’est pas compétent pour intervenir. Ou si deux personnes privées concluent un contrat et qu’il y a problème par la suite, notre institution ne peut pas être saisie de cette affaire.

Pour une réduction du train de vie de l’Etat, il y a eu des propositions de suppression d’institutions, dont la vôtre. Quelle est votre réaction ?

Je respecte les décisions si elles émanent des forces vives de la nation. Si les intéressés connaissaient bien notre institution, ils n’allaient pas faire cette proposition, surtout en cette période de notre histoire marquée par une situation sécuritaire et des conflits communautaires dans nos villages. Mais il nous appartient d’œuvrer pour que ceux qui ignorent notre utilité s’en rendent compte. J’ai fait un document de plaidoyer qui explique que d’abord, l’institution médiateur du Faso est constitutionnalisée. Or, une institution qui figure dans la Constitution ne peut pas être supprimée sans qu’on ait retouché cette loi fondamentale. Ensuite, si on parle de réduction du train de vie de l’Etat, cela renvoie à l’aspect budgétivore. Mais notre institution est très loin de l’être. Quand son budget a été dévoilé, beaucoup n’en revenaient pas.

C’est de l’ordre de combien ?

A la création de l’institution avec le général Tiémoko Marc Garango, premier médiateur du Faso, environ 700 millions de francs CFA ont été alloués pour l’installation, l’implantation et la mise en place des différents services. Depuis lors, au gré des années, ce budget a fluctué. Par moments, c’est 400 millions dans l’année, voire 200 millions. Dans ce montant, il y a les charges du personnel (les salaires d’une soixantaine de personnes) qui font 80%. Les 20% autres sont utilisés pour l’achat des consommables, de petites réparations et le traitement des réclamations. C’est la raison pour laquelle nous ne menons pas d’activités médiatiques. Il y a un coût lié à cela et c’est tout à fait normal de payer la presse qui doit vivre de son métier.

A vous écouter, votre fauteuil n’est pas aussi moelleux que ça.

Pas du tout (3 fois). En tant que magistrate de profession, ça ne change pas fondamentalement ma situation. C’est plutôt un honneur pour moi ; c’est un poste prestigieux. Et une institution à diriger, c’est une autre expérience. Quand mon DRH (directeur des Ressources humaines) est venu me faire les simulations, nous avons ri mais j’ai accepté la mission et je veux aller jusqu’au bout en faisant tout ce qui est en mon pouvoir pour que l’institution rayonne. Peut-on supprimer une institution malgré les différents feux qu’elle peut éteindre contre quelques millions de francs ? Si l’institution venait à être supprimée, les agents qui sont de la Fonction publique seraient forcément redéployés mais auraient toujours des salaires. Du coup, il n’y aurait pas d’économies à faire. Quand j’ai pris service, j’ai trouvé près de 500 dossiers en attente de traitement et dans mon programme d’activités de l’année en cours, j’ai institué « l’opération casiers vides » pour nous attaquer à ces affaires. Il est vrai que nous n’avons pas beaucoup de moyens financiers, mais nous devons trouver des mécanismes pour que les citoyens aient davantage confiance en notre institution.

Parlant de la situation sécuritaire dans laquelle nous nous sommes embourbés depuis ces six dernières années, quelle est la part de votre institution dans la résolution de ce problème ?

Elle joue un grand rôle et doit continuer à le faire. Vous n’ignorez pas comment se pose la question de la situation sécuritaire et tout le monde est d’avis que les terroristes ne sont pas des étrangers. Des études ont montré qu’il s’agit de nos enfants, maris et frères. Mais il y a une question qu’on se pose : comment se fait-il que nos parents se mettent en marge de la société et prennent des armes contre leurs propres frères ? Il y a quelque part un problème à la base. Ce n’est un secret pour personne que des Burkinabè pensent qu’ils sont stigmatisés, qu’ils sont des laissés-pour-compte ou encore qu’ils sont brimés. La part de notre institution, c’est d’aller vers ces communautés en vue d’essayer d’apaiser le climat social et c’est ce que nous faisons déjà. Le feu que nous venons d’éteindre à Bobo-Dioulasso en est un exemple illustratif, ces choses commencent ainsi. Des gens d’une localité nous ont écrit, faisant cas d’un problème sérieux et précisant que les émeutes que les gens ont vues ne sont que la partie visible de l’iceberg. Ils ont demandé à madame le médiateur de Faso d’intervenir pour réconcilier et unir de nouveau les fils et les filles de ladite localité, mais je ne peux pas vous donner de nom.

Pourquoi ?

Si nous ne parlons pas des dossiers que nous traitons, c’est parce qu’ils sont frappés du sceau de la confidentialité. Vous, par exemple, vous n’allez pas aimer qu’après avoir saisi le médiateur, votre affaire se retrouve sur les réseaux sociaux ! Même quand nous donnons des exemples pour que les gens comprennent qu’il y a un travail qui est abattu, nous faisons tout pour ne pas identifier des personnes. On parle plutôt de cas. Sauf pour les dossiers déjà traités qui ont d’ailleurs été recensés dans un document afin que les gens sachent ce qui a été déjà fait ou se fait dans la résolution des conflits communautaires.
Pour ce que nous faisons pour la sécurité, il y a des partenaires qui, convaincus de l’utilité de ce que nous faisons, viennent vers nous. C’est le PAEA (Programme d’approvisionnement en eau et assainissement) et la DECAF (des médiateurs au niveau de la sécurité, basés à Genève, en Suisse et ayant des représentations dans les Etats). Ils ont approché notre institution et nous travaillerons avec eux dans les jours à venir afin de rapprocher davantage les populations et les Forces de défense et de sécurité (FDS). L’exemple que je vous ai donné montre qu’il y a une crise de confiance quelque part. On vous dit que les terroristes sont connus, mais pourquoi on ne les dénonce pas aux FDS ? Il y a problème et nous estimons pouvoir faire quelque chose en vue de renforcer cette confiance. Il y a même un groupe qui a déjà saisi le médiateur du Faso. Ses membres estiment que les FDS commettent des exactions contre eux et que c’est ce qui amène certains de leurs enfants à prendre les armes pour aller de l’autre côté. Les gens savent que nous sommes une institution indépendante ; nous ne sommes ni du gouvernement ni de l’Assemblée nationale, si bien qu’ils ont beaucoup plus confiance en nous qu’aux démembrements de l’Etat.

Cela veut dire que vous avez votre place aux côtés des comités locaux de dialogue…

Justement, nous aurons incessamment des échanges avec le ministre concerné pour voir ce qui va en ressortir. Pour l’instant, on n’a pas officiellement impliqué notre structure mais voyant ce que font ces comités, nous pensons pouvoir apporter beaucoup de choses car dans ceux-ci, beaucoup ne sont pas des professionnels de la médiation. Ils peuvent donc être appuyés en matière de renforcement des capacités et ceux qui le veulent peuvent demander un appui également de professionnels pour les aider dans les échanges.

Lobspaalga.com

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