Société

Dépolitiser l’administration publique : les pistes pour y parvenir selon Moctar Ganama, conseiller en GRH

Avec la chute du pouvoir Kaboré et l’avènement du Mouvement patriotique pour la sauvegarde et la restauration (MPSR), la dépolitisation de l’administration publique marque un grand retour dans les débats. Conseiller en Gestion des ressources humaines, enseignant et essayiste, Moctar Ganama propose dans les lignes qui suivent des pistes pour parvenir à la réalisation de ce qui n’est pour l’heure qu’une simple volonté des nouvelles autorités.

Longtemps, la dépolitisation de l’administration publique a été un combat de syndicats et d’organisations de la société civile (ph. Studio Yafa)

Parmi les chantiers qui attendent le Gouvernement de la transition burkinabè, figure la dépolitisation de l’Administration publique. En effet, le Président de la Transition affirmait lui-même, lors de son discours à l’occasion de sa prestation de serment au Conseil constitutionnel « nous allons procéder à une dépolitisation systématique, méthodique et progressive de l’Administration publique. Seules doivent prévaloir les compétences techniques et la probité ». Dans les lignes qui suivent, je souhaite humblement partager mon opinion sur cette question sensible mais cruciale si on veut construire un Etat moderne dont les fondements seront à l’abri des conjonctures politiques auxquelles notre classe politique a fini par nous habituer.

La vocation de l’administration à gérer la chose publique, à servir l’intérêt général conduit des groupes d’intérêt ou des individus à chercher à l’instrumentaliser pour imposer leur conception de l’intérêt général ou à servir leurs intérêts particuliers. Cette situation n’est pas propre au Burkina Faso mais elle est valable dans tous les pays du monde. Ce qui fait penser que toutes les administrations publiques du monde contiennent une dose de politisation. Dans certains pays la politisation de l’administration est même la règle. Il en est ainsi, du spoil system américain dont l’argument principal était que la politisation permet une coopération optimale entre personnels de l’administration et du monde politique et qu’à ce titre elle permet de « huiler les rouages » entre la fonction gouvernementale et la fonction administrative.

Modèle de l’administration française

L’administration publique burkinabè est inspirée du modèle de l’administration française, ancienne puissance coloniale dont les textes consacrent le principe de la neutralité politique. Cette option se justifie certainement par l’argument de certains théoriciens selon lequel la neutralité de l’administration offre de meilleures garanties de compétence des fonctionnaires. Pour eux, l’exigence d’impartialité rend l’emploi public plus attractif et le système de concours assure une certaine qualité du recrutement. Une administration neutre est nécessaire pour assurer la continuité du service public en cas d’alternance politique.

Le principe de la neutralité politique a des implications tant pour l’administration elle-même que pour les agents publics. Selon ce principe l’administration publique doit être neutre et impartiale dans l’accomplissement de ses missions. Ainsi, la mise en œuvre du principe de la neutralité politique implique pour l’administration publique l’interdiction de la prise en compte de toute considération politique ou idéologique dans les recrutements et les promotions des agents publics. C’est pourquoi le concours s’est imposé comme le seul mode d’accès à la fonction publique et les nominations dans les fonctions administratives doivent obéir aux critères de mérites professionnels. Sur cette question de la neutralité politique qui incombe à l’administration publique il me plait de rappeler les dispositions de la charte de la fonction publique en Afrique qui a été signée et ratifiée par le Burkina Faso. Laquelle charte précise à son article 5 « l’administration qui est au service de l’intérêt général ne doit exercer sur ses agents, ni de traitement discriminatoire en raison de caractéristiques liées à la personne. Le service public dans son ensemble demeure neutre á l’égard de régime en place. Ce principe fondamental s’impose à toute administration ».

Minimum de loyauté vis-à-vis des dirigeants politiques

Quant aux agents publics le principe de la neutralité politique implique pour eux l’observation d’une certaine réserve dans l’exécution des missions du service public même s’ils sont libres de leurs opinions politiques, philosophiques ou religieuses. En effet, étant donné que la mission principale de l’administration publique est la mise en œuvre des décisions prises par les autorités politiques en place, il est important que ceux-ci observent un minimum de loyauté vis-à-vis de ces dirigeants politiques. C’est ce qu’il faut comprendre de l’article 26 alinéa 3 de la charte qui précise : «l’agent public ne doit pas, au regard de son appartenance politique ou de ses propres croyances idéologiques, influencer ou biaiser les politiques, décisions ou actions que l’administration a décidé de définir, de prendre ou de mettre en œuvre». La neutralité politique implique également pour les fonctionnaires, l’interdiction de toute discrimination dans le traitement des usagers du service public et l’interdiction de mener des activités politiques (réunions, propagandes politiques, création de cellules politiques) au sein des services publics. A ce titre l’article 44 de la loi portant statut général de la fonction publique d’Etat est clair : « Le fonctionnaire doit, en toutes circonstances, assurer ses fonctions en toute impartialité et se garder de toutes attitudes discriminatoires à l’égard des usagers du service public ainsi que de tous comportements de nature à faire douter de la neutralité du service public. A ce titre, il est interdit notamment d’organiser des activités politiques ou d’installer dans l’administration publique, de manière formelle ou informelle, des cellules ou toutes formes de représentation à caractère politique ». Enfin, cette dépolitisation impose aux agents publics l’interdiction de toute manifestation d’hostilité à l’égard d’un régime donné quelle que soit sa forme. C’est pourquoi et bien que le droit de grève soit reconnu aux fonctionnaires, les grèves politiques sont interdites.

Malgré cet encadrement juridique de la neutralité politique de l’administration publique, la politisation de cette administration est une réalité indéniable au Burkina Faso. Cette politisation se manifeste d’abord par certains modes de recrutement dans la fonction publique qui ne sont pas conformes aux exigences d’une compétition saine pour disposer de ressources humaines compétentes. Il s’agit notamment des recrutements sur examens de dossiers encore appelés mesures nouvelles ordinaires et abusivement considérés comme une variante du concours direct. Cette considération est anachronique dans la mesure où l’article 18 du statut général de la fonction publique d’Etat définit le concours comme étant le mode de recrutement selon lequel des candidats sélectionnés sont soumis à des épreuves à l’issue desquelles ceux reconnus aptes sont classés par ordre de mérite par un jury souverain et déclarés admis dans la limite des postes à pourvoir, par l’autorité ayant pouvoir d’organisation des concours.

La probité insuffisante

La politisation de l’administration publique se manifeste également dans l’occupation des fonctions administratives par les citoyens burkinabè. En effet, la compétence et la probité ne suffisent plus pour occuper une fonction publique au Burkina Faso. A quelques exceptions près, tous les postes administratifs sont occupés par des partisans qui se partagent le pouvoir d’Etat. Le plus rocambolesque est que certains postes administratifs sont occupés par des non fonctionnaires qui bénéficient de contrats qui ne sont conformes à aucun texte de notre arsenal juridique et qui sont grassement payés sous le regard médusé des cadres de l’administration formés par l’Etat.

Les pratiques politiques au sein des structures publiques au Burkina Faso ont entrainé le développement d’une administration de type clanique fondé sur l’appartenance politique, ethnique, religieuse ou régionale. En effet, les dirigeants politiques sont régulièrement en quête d’une légitimité au niveau de leurs partis ou leurs communautés d’origine. Ce qui les pousse à privilégier les citoyens relevant de leurs communautés lors des recrutements d’agents, des nominations aux fonctions administratives et même des attributions des marchés publics pour espérer récolter les dividendes politiques de la reconnaissance de ces communautés. Ces pratiques sont à l’origine des maux qui minent notre administration publique et qui sont régulièrement dénoncés par les citoyens. Ces maux sont le favoritisme, le clientélisme, le népotisme et même la corruption.

Comment venir à bout

La gravité de la situation commande que des mesures vigoureuses soient adoptées pour venir à bout du phénomène. Cependant, ces mesures doivent exclure toute stigmatisation ou déni de droits aux agents publics partisans car la constitution reconnait la liberté d’opinion à tous les citoyens du Burkina Faso. Dans tous les cas, au regard du faible taux d’alphabétisation de la population, le Burkina Faso ne peut pas s’offrir le luxe d’imposer une neutralité politique stricte aux agents publics (même si on l’a fait aux magistrats) comme au Royaume- Uni où certains auteurs parlent même de castration politique du fonctionnaire britannique.

Comme mesures de dépolitisation de l’administration publique au Burkina Faso, les pistes suivantes peuvent être explorées :

  1. Légiférer sur les emplois qu’on pourrait qualifier de « hauts fonctionnaires » qui sont des emplois qui se situent à la limite du politique et de l’administratif. Ce sont des postes qui sont laissés à la discrétion du Gouvernement et dont l’occupation est ouverte aux fonctionnaires et aux non fonctionnaires. Légiférer sur la question permettra de définir la liste de ces emplois, les critères objectifs pour y accéder, le statut juridique des occupants surtout s’ils ne sont pas fonctionnaires et les conditions de leurs rémunérations. On pourrait s’inspirer du modèle américain où la liste des emplois à la discrétion du Gouvernement est contenue dans un catalogue appelé « plum book », les autres emplois relevant de la fonction administrative étant strictement réservés aux fonctionnaires de carrière.
  2. Soumettre tous les postes de directeurs généraux des sociétés publiques, des projets et programmes ainsi que les établissements publics de l’Etat à la procédure d’appel à candidature sans dérogation et définir des référentiels clairs pour le choix des directeurs techniques devant les assister dans l’exercice de leurs fonctions pour éviter les abus qu’on a connus jusque-là. Il reste entendu que des contrats d’objectifs clairs doivent être soumis à ces dirigeants pour la durée de leurs mandants. Lesquels contrats d’objectifs doivent faire l’objet de plans d’actions annuels qui sont évalués par les organes d’administration de la structure. Aussi, est-il important de rendre systématiques les audits de gestion de chaque responsable en fin de mandat.
  3. Relire tous les statuts relatifs aux agents publics pour y introduire des dispositions relatives aux règles statutaires de subordination hiérarchique selon lesquelles les nominations doivent être prononcées de telle sorte qu’un fonctionnaire ne puisse avoir sous ses ordres un autre fonctionnaire de grade supérieur ou plus ancien que lui dans le même grade. Ces dispositions sont déjà observées au niveau de la magistrature et de l’armée. La relecture des statuts permettra également d’extirper toutes les dispositions pouvant être exploitées à des fins politiques. Il s’agit d’abord, des dispositions relatives au recrutement par examen de dossier qui a servi de base à toutes les dérives dans le recrutement des fonctionnaires sur d’autres critères non conformes aux exigences d’une administration moderne. Il s’agit également des dispositions relatives aux sanctions pour fautes de troisième degré ou d’extrême gravité qui octroient le droit au Conseil des Ministres de prononcer des sanctions administratives sans consultation d’un organisme disciplinaire à l’encontre d’un fonctionnaire coupable d’une faute administrative. Le Conseil des Ministres étant une instance politique, cela peut ouvrir des possibilités de sanctions qui peuvent être interprétées comme des sanctions politiques dans la mesure où toutes les garanties de défense ne sont pas observées dans cette procédure.
  4. Vulgariser l’exploitation de certains outils de gestion des ressources humaines et des structures tels que les manuels de procédures, les fiches de postes et les tableaux prévisionnels des emplois et des effectifs afin non seulement de maitriser les effectifs de la fonction publique pour qu’aucun n’agent ne puisse être payé sans être à un poste de travail. L’utilisation de ces outils permettra également d’utiliser les ressources humaines en tenant compte de leurs compétences (pour éviter les affectations et les nominations complaisantes, fantaisistes et abusives) et de rendre l’exécution du service public plus rapide, efficace et transparente.
  5. Relancer le fonctionnement normal de tous les organes consultatifs statutaires de la fonction publique comme le Conseil consultatif de la fonction publique, le comité technique paritaire et le conseil de discipline. Ces organes ont pour avantages de permettre l’examen des projets de réforme à l’intérieur des cadres normatifs dans lesquels les partenaires sociaux sont représentés et éviter les contestations de certaines décisions dans les rues. Aussi, pour les décorations pour faits de service public le statut général de la fonction publique d’Etat prévoit que les propositions soient d’abord soumises à l’examen du comité technique paritaire avant la décision du Ministre. Cela a pour mérite de donner de la transparence aux choix opérés et d’éviter des choix basés sur des considérations autres que le professionnalisme et la probité du fonctionnaire.
  6. Revoir le mode de création des syndicats, surtout ceux du secteur public. La prolifération des syndicats dans les structures publiques est symptomatique de la politisation de l’administration. Les autorités politiques n’hésitent plus à susciter la création de syndicats juste pour contre carrer les syndicats avec lesquels ils ont maille à partir. A défaut de pouvoir revoir leur mode de création on peut instituer que le dialogue avec l’administration ne se fera qu’avec le syndicat majoritaire de la corporation. Aussi, il est important pour l’administration de définir les questions qui peuvent être discutées avec les syndicats dans un cadre sectoriel et les questions qui doivent l’être dans un cadre global. A mon avis les questions relatives aux rémunérations et aux statuts des agents ne doivent pas faire l’objet d’une discussion sectorielle pour éviter des accords qui vont créer des effets d’entrainer dans d’autres secteurs.

En somme, la dépolitisation de l’administration ne consiste pas à interdire ou à empêcher l’accès aux emplois publics ou fonctions administratives aux agents publics qui sont affiliés aux partis politiques (même si en retour ceux-ci doivent faire preuve de réserve dans l’expression de leurs opinions politiques dans le cadre de l’exercice de leurs fonctions) mais plutôt à faire en sorte qu’ils n’y accèdent pas parce qu’ils sont politiques mais parce qu’ils sont compétents et probes.

La mission qui incombe à tout Burkinabè (et non à un régime particulier) est de travailler à faire de notre administration une institution forte, crédible et capable de résister aux soubresauts politiques (cela est valable pour notre justice et notre armée). Cela requiert des hommes et des femmes qui ont le sens de l’Etat à tous les niveaux de la sphère décisionnelle de l’Etat.

                        Moctar Séidou GANAMA

        Conseiller en GRH, Enseignant et Essayiste

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