Justice

Assassinat Thomas Sankara : « Blaise m’a dit des choses que je ne crois pas vraies », Philippe Ouédraogo

Cité comme témoin dans le cadre du procès sur l’assassinat de Thomas Sankara, Philippe Ouédraogo a déposé ce 29 novembre 2021. Anciennement membre du Parti africain de l’indépendance (PAI), il dit avoir été  reçu par Blaise Compaoré, 4 jours après les évènements, qui tenait à lui donner des explications . Dix millions remis au couple Blaise et Chantal Compaoré par le président ivoirien, Houphouët Boigny et la création d’un parti unique, entre autres, auraient contribué a dégradé les relations entre Thomas Sankara et Blaise Compaoré

Philippe Ouédraogo

Ingénieur minier à la retraite, Philippe Ouédraogo, était au temps de la Révolution l’une des personnalité en vue sur la scène politique. En fait, il était l’un des dirigeant du Parti africain de l’indépendance (PAI), lequel parti fut membre du Conseil national de la révolution (CNR) avant de s’en retirer en août 1984.

Aujourd’hui, malgré ses 79 ans, l’homme garde encore des souvenirs plus ou moins intacts des évènements ayant conduit à l’assassinat de Thomas Sankara et 12 de ses compagnons. De son passage comme témoin ce 29 octobre 2021 devant la chambre  de première instance du tribunal militaire, on a principalement retenu des confidences que lui a faites Blaise Compaoré le 19 octobre 1987 sur ce qui se produisit alors quatre jours plus tôt.

Blaise Compaoré aurait expliqué les évènements du 15 octobre à Philippe Ouédraogo

Selon le témoin, c’est au Conseil de l’entente qu’a eu lieu la rencontre avec l’ex-numéro 2 du CNR, et cela, suite à un appel d’Issa Dominique Konaté qui l’en a informé. « Blaise m’a fait savoir qu’il a demandé à me voir à titre personnel. Il m’a dit qu’il y avait des problèmes entre lui, Thomas Sankara et les deux autres leaders du CNR, à savoir Henri Zongo et Jean-Baptiste Lingani », a indiqué le bientôt octogénaire avant de dérouler ces points de divergences dont lui a fait part Blaise Compaoré.

Premier élément de divergence entre les leaders de la Révolution, selon Philippe Ouédraogo, résumant le contenu de sa rencontre du 19 octobre, la création d’un parti unique et la dissolution des organisations marxistes. « Blaise m’a dit que lui et les deux autres (Zongo et Lingani) s’opposaient à ce projet et qu’à chaque rencontre où il en était question, Thomas Sankara les quittait en claquant la porte.

Les discours de la discorde

Deuxième point de mésentente avec Thomas Sankara : le discours du délégué général du Comité de défense de la Révolution (CDR) de l’Université de Ouagadougou, Jonas Somé, à l’occasion de la commémoration de l’anniversaire du Discours d’Orientation politique (DOP) le 2 Octobre 1987. Le témoin a fait savoir que contrairement à Thomas Sankara qui, ce jour-là, s’est attardé sur le Discours d’orientation politique (DOP), l’étudiant délégué CDR s’est plutôt montré critique sur la conduite de la Révolution. Le malaise né des contenus antagonique de ces discours sera accentué par  le responsable du Pouvoir révolutionnaire provincial (PRP) de Bobo qui aurait pris fait et cause pour le discours de l’étudiant Jonas Somé, occultant celui du président du CNR. « A ce sujet, Blaise m’a dit que Sankara l’a soupçonné d’être derrière le contenu de ce discours de Jonas Somé. A ce même sujet, Pierre Ouédraogo, (Ndlr : ex-secrétaire général des CDR)  à qui Sankara a demandé des explications a fait savoir que le PRP de Bobo a délibérément choisi d’analyser publiquement le discours de Somé », a fait savoir Philippe Ouédraogo.

Les 10 millions d’Houphouët Boigny

Troisième couac avec Sankara révélé à Philippe Ouédraogo, le mariage de Blaise Compaoré avec Chantal Terrasson, une ivoirienne. Suite à cette union, le président ivoirien, Houphouët Boigny, aurait offert 10 millions de F CFA au couple. Mais Thomas Sankara insistait pour que l’argent soit versé dans la caisse de l’Etat. Ce qui était loin d’être l’avis de Blaise Compaoré qui estimait que la somme pouvait être divisé en deux : une moitié, sa part, versée au trésor public et l’autre moitié remise à son épouse.

A croire Philippe Ouédroago, Thomas Sankara (photo) claquait la porte face au refus de Blaise Compaoré d’entériner la création d’un parti unique

Quatrième et dernier point de discorde entre les capitaines Sankara et Compaoré, selon le témoin, des propos  jugés menaçants tenues par l’ex-commandant de la Force d’intervention du ministère de l’Administration territoriale et de la sécurité (FIMATS). Le commandant de cette Force, Vincent Sigué, aurait affirmé que son unité était en mesure de contrer d’autres forces en cas de besoin. A Philippe Ouédraogo, Blaise Compaoré aurait fait savoir que ces propos ont mis en colère des éléments du Centre national d’entrainement commando (CNEC) au point qu’il a fallu tenir une réunion le 14 octobre, soit la veille du coup d’Etat, afin de les calmer.

Une catastrophe pour le Burkina

Selon les propos de Blaise Compaoré rapportés par Philippe Ouédraogo, ce dernier n’était pas averti du projet d’attentat contre Sankara le 15 octobre 1987, le général Dienderé non plus. « Blaise m’a dit que c’est une initiative de ses éléments du CNEC et qu’il a décidé par la suite d’en assumer la responsabilité », a déclaré l’ex-dirigeant du PAI. « Aujourd’hui, quelle est votre opinion personnelle sur ce que vous a dit Blaise Compaoré ? » A cette question du président de la Chambre, le témoin a fait savoir qu’il ne croit pas en toutes les explications qui lui ont été données par celui qui a créé le Front populaire suite à la fin du CNR. « C’est difficile de penser que Blaise Compaoré puisse assumer le coup s’il n’était pas au courant de sa préparation. Ce n’est pas vraisemblable. Certains disent aussi qu’il voulait le pouvoir. Personnellement je ne crois pas à cela. Peut-être qu’il regrettait simplement, en tant que numéro 2 du CNR, de ne pas être associé à la prise de certaines décisions », a indiqué le témoin.

Terminant sa déposition par un commentaire, Philippe Ouédraogo a qualifié les évènements de la mi-octobre 1987, de « catastrophe » pour le Burkina. Et d’expliquer que Thomas Sankara avait une capacité à vite analyser les situations, à vite décider et à vite mettre en œuvre ses projets. Ce qui faisait de lui un président dynamique qui a impacté la personnalité des Burkinabè à un moment de leur histoire.

Un médiateur nommé Alpha Condé

Après que le témoin a précisé qu’il a produit, à l’attention des membres de son parti d’alors, un compte rendu de sa rencontre avec Blaise Compaoré, le parquet militaire a requis que copie dudit compte rendu soit versé dans le dossier, histoire de mieux éclairer la lanterne des différentes parties. Chose faite, avant que l’accusation n’entame son interrogatoire. « Pensez-vous que dans son action Blaise Compaoré ait été influencé par des groupes politiques membres du CNR ? » La réponse du témoin est négative. « En tant que militaire, il n’aurait pas communiqué son projet d’attentat à un civil », croit savoir Philippe Ouédraogo qui estime par ailleurs qu’entre Thomas Sankara et Blaise Compaoré, le premier était le plus engagé pour la révolution.

Pour le témoin, à l’instar d’autres qui l’ont précédé à la barre, ce qui est arrivé le 15 octobre 1987 n’était pas tout a fait une surprise, d’autant plus dès le mois d’août jusqu’à cette date fatidique, des tracts qui traduisaient les divergences entre les dirigeants de la révolution ont beaucoup circulé. A ce propos, Philippe Ouédraogo se souvient que l’ancien président guinéen, Alpha Condé s’est dépêché à Ouagadougou pour jouer au médiateur entre les 2 capitaines sans jamais pouvoir rencontrer l’un ou l’autre.

Après la déposition de Philippe Ouédraogo, c’est le ministre de l’Administration territoriale et de la Sécurité au moment des faits, Nongma Ernest Ouédraogo qui a été appelé à la barre pour dire ce qu’il sait des événements du 15 octobre 1987 .

Bernard Kaboré

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