Société

Procès contrebande carburant : Un bricoleur de citernes à la barre

Ouvert et suspendu le 25 octobre dernier, le procès des présumés contrebandiers d’hydrocarbures a repris ce 16 novembre 2021 au Tribunal de grande instance de Ouaga, et ce, à la faveur de l’ouverture d’une session de jugement qui s’étendra sur deux semaines. Une cinquantaine de prévenus ont été appelés à la barre pour se voir notifier les charges qui pèsent sur eux : délit de contrebande, recel d’objets frauduleux, mise en danger de la vie d’autrui sont les principaux chefs d’accusations.  Passé cette notification suivi d’exceptions aussi bien de la défense que de la partie civile, D.K. a ouvert le bal des interrogatoires, lui qui est poursuivi pour importation et vente frauduleuse de carburant.  

Dans ce dossier dit de contrebande de carburant, une cinquantaine de personnes sont attendues à la barre

A quoi ressemble un procès de présumés contrebandiers ? Probablement, cette question a suscité la curiosité de nombreuses personnes qui ont pris d’assaut la salle d’audience du pôle économique du TGI Ouaga 1 dès les premières heures de la journée. La salle s’est d’ailleurs révélée  petite pour l’assistance dont une bonne partie a dû faire le pied de grue à l’extérieur.

Aussitôt les prévenus conduits dans le box à eux dédiés, aussitôt l’audience a été ouverte. D’entrée de jeu, le président du tribunal a fait savoir que cette audience se tient dans le cadre d’une session de jugement qui va s’étendre sur deux semaines. C’est après avoir donné cette information puis retenu les dossiers inscrits au rôle que celui qui assure la police des débats a précisé que cette première journée d’audience, tout comme les deux autres suivantes seront exclusivement consacrées au dossier dit de contrebande de carburant. Et cela, au regard du nombre de prévenus.

Dans ce dossier pas comme les autres, une cinquantaine de personnes sont en effet poursuivies. Les uns pour délit ou complicité de délit de contrebande, qui pour détention de produits illicites, qui pour recel d’objets frauduleux ou encore pour mise en danger de la vie d’autrui. A tour de rôle, les mis en cause se sont succédé à la barre pour la notification des chefs d’accusation qui pèsent sur eux. Suivait chaque notification cette question du juge : « Reconnaissez-vous les faits ? », une question à laquelle les uns ont répondu par l’affirmative tandis que les autres   par la négative.

La partie civile persona non grata

Avant l’interrogatoire des accusés, les différentes parties au procès se sont attardées sur des exceptions aussi bien soulevées par la défense que par la partie civile constituée par la nationale des hydrocarbures, la SONABHY. C’est d’abord la défense qui a donné le ton. En faveur de plusieurs prévenus, leurs conseils respectifs ont brandi une exception de nullité des procès-verbaux d’auditions. Les uns ont argué que le délai de détention préventive des mis en cause a excédé 15 jours sans toutefois que le prolongement de cette détention soit notifié par une ordonnance comme le dispose la loi, d’où une détention arbitraire. Et un des conseils de préciser que ses clients ont été interpellés à la date du 18 septembre 2021 et détenus jusqu’après le 3 octobre sans recevoir une notification de prorogation de leur détention. Mieux, ces prévenus « victimes » de cette détention « hors la loi », n’ont pas bénéficié d’un examen médical, comme dispose le Code de procédure pénale. « S.M., par exemple, était souffrant. Il est atteint d’un trouble psychiatrique. A la gendarmerie, il a même piqué une crise », a révélé l’avocat de ce prévenu, martelant qu’on ne peut pas sanctionner un individu en violant ses droits.  Pour d’autres avocats, c’est plutôt la qualité du juge signataire de cet acte de prorogation qui fait défaut. Car, ce juge, Sanou Issouf, a agi en tant qu’intérimaire en lieu et place d’un juge délégué.

Exception pour exception, l’un des avocats de la SONABHY a indiqué qu’au moment venu, le tribunal aura la compréhension de la constitution de l’institution dans ce dossier, répondant à une exception de Me Batibié Bénao qui avait estimé que « la partie civile n’a rien à faire dans ce dossier, d’autant plus qu’il n’est pas question d’un carburant qui lui appartient »        

Avant que le parquet ne démonte les arguments développés par la défense, c’est la partie civile qui s’en est d’abord chargée, soutenant que les moyens d’exceptions de la partie défenderesse sont certes beaux à entendre mais ne tiennent pas la route. «Une copie de l’ordonnance de prolongation est versée dans le dossier ; rien n’enlève à l’intérim d’un juge », a notamment répondu le ministère public.

Pas un mot sur les exceptions des avocats

Alors que plus d’un s’attendait à ce que le juge tranche sur la recevabilité ou non des différentes exceptions après une suspension de l’audience, celui-ci semble s’en être passé outre puisqu’à la reprise, les premiers prévenus à être interrogés ont été convoqués à la barre. Il s’agit de D.K. et D.L., le premier poursuivi pour délit de contrebande, mise en danger de la vie d’autrui et spéculation illicite aggravée, le second de complicité de contrebande et mise en danger de la vie d’autrui.

Les premières questions du juge adressées à D.K. à la barre ont permis de comprendre que ce dernier résidait quelques années plus tôt au Bénin d’où il faisait transporter des marchandises au Burkina. Il avait aussi un bon de transport d’hydrocarbures délivré par la SONABHY et qu’il exploitait avant de virer vers l’usage de camions lui appartenant et qui ont été modifiés à l’effet de pouvoir transporter le liquide inflammable. D.K. explique que de la frontière béninoise, il prenait le carburant avec ses « patrons ». Arrivé à Nadiagou, ses chauffeurs remettent une somme, environ 200 000 F CFA, à une de ses connaissances, C.M. qui négocie avec la douane pour laisser passer le camion. A Fada N’Gourma, cette procédure de « négociation » est renouvelée, mais cette fois avec une autre personne, à savoir S.P. Ainsi, le chargement arrive à Mogtédo et Minasme, les destinations finales où le carburant est entreposé sous des hangars, loin des habitations selon le prévenu qui assure ne pas être au fait des formalités à remplir pour faire entrer du carburant au Burkina, ayant souvent travaillé uniquement avec d’autres commerçants.

« Vous banalisez les choses »

Pour le parquet, tout comme la partie civile, le mis en cause est simplement de mauvaise foi lorsqu’il dit ignorer les formalités, ayant travaillé avec les citernes de la SONABHY.

Poursuivant sa déposition, D.K. a fait savoir que chaque chargement contenait environ 120 barils et que ces chargements avaient lieu deux à trois fois par mois. Et une fois que la marchandise arrivait à destination, contenue dans des fûts, une bonne partie (70%) était vendue en gros tandis que le reste était écoulé en détail, avec des petits commerçants qui procédaient au chargement avec des tricycles ou des motocycles. En gros, chaque baril était vendu au prix de 110 000 ou 115 000 F CFA. Le transport et l’entreposage étaient-ils sécurisés ? A cette question, le prévenu a fait savoir que ses citernes ainsi que les entrepôts étaient munis d’extincteurs, même s’il reconnait n’avoir pas reçu une formation adéquate à la manipulation. « L’impression que vous donnez est que vous banalisez les choses », a conclu le procureur qui a voulu faire observer que les infractions de mise en danger de la vie d’autrui et de spéculation illicite sont suffisamment constituées.

L’audience a été suspendue, elle reprendra ce 17 novembre, toujours avec les deux premiers prévenus appelés à la barre.

Bernard Kaboré

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