Justice

Assassinat Thomas Sankara : « Nous avions reçu l’instruction de neutraliser la FIMATS », Albert Bélemlilga

Le 15 octobre 1987, presque au même moment où Thomas Sankara et douze de ses compagnons trouvaient la mort au Conseil de l’Entente, des éléments de l’escadron motocycliste du CNEC neutralisaient le camp CRS de Gounghin, anciennement la FIMATS. A pris part à cette mission de neutralisation, l’adjudant-chef à la retraite, Sibiri Albert Pascal Bélemlilga qui a comparu ce 15 novembre 2021 devant la chambre de contrôle du Tribunal militaire pour s’expliquer, lui qui a plaidé non coupable des faits de complicité d’atteinte à la sûreté de l’Etat dans le cadre du procès sur l’assassinat du père de la Révolution burkinabè.

L’accusé Albert Bélemlilga (à g.) et son conseil Me Mamadou Coulibaly

En octobre 1987, Sibiri Albert Pascal  Bélemlilga avait le grade de sergent. Il appartenait à l’Escadron motorisé du Centre national d’entrainement commando (CNEC) de Pô. Instructeur de saut en parachute, il était par ailleurs  un volleyeur membre de l’équipe présidentielle dans cette discipline sportive.

Aujourd’hui, Albert Bélemlilga qui a terminé sa carrière militaire comme  adjudant-chef a pris un coup de vieux. Lorsqu’il a été convoqué à la barre du tribunal militaire ce 15 novembre pour son interrogatoire, c’est aux pas mesurés qu’il a quitté le box des  accusés, flottant dans son abacost. A l’instar d’autres mis en cause dans ce dossier de l’assassinat de Thomas Sankara et douze de ses compagnons d’infortune, Albert Bélemlilga a opté de faire sa déposition étant assis.

Comme à l’accoutumé, le président du tribunal, Urbain Méda a demandé au prévenu de dérouler son agenda du 15 octobre 1987. Ce-jour-là, a expliqué l’accusé, il s’est rendu, peu avant 16 heures, au terrain de volleyball du Conseil de l’entente pour y faire le sport. C’est du terrain qu’il entendra les premiers coups de feu en provenance de la salle de réunion du Conseil où il avait vu le président entrer quelques minutes plus tôt. Quelle fut sa réaction ? « Je fis alors un placage au sol. Quand les coups de feu n’étaient plus intenses, je me suis levé pour rejoindre la base de l’unité auquel je dépendais, à savoir le peloton de l’Escadron motorisé qui se trouvait en face du Conseil. Mais avant d’y arriver, à l’entrée du conseil, j’ai jeté un regard furtif à ma gauche où j’ai vu Hyacinthe Kafando et Nabié N’Soni. Lorsque j’ai rejoint la base, j’y ai trouvé des hommes prêts à embarqués pour le camp CRS, (NDLR : anciennement de la FIMATS). Du chef de peloton de l’escadron, le sergent Bernard Kaboré, Démé Djakalia et moi avons reçu l’ordre d’aller nous changer en tenue de combat et nous munir d’armes et le retrouver à la FIMATS. C’est ainsi que je suis retourné à la maison avant de rejoindre le camp 45 minutes plus tard», a relaté le mis en cause.

« Quelle fut votre rôle une fois au camp ? » A cette question du président, Albert Bélemlilga a expliqué qu’une fois sur ce lieu, il a d’abord cherché à savoir pourquoi ce déplacement. « Le chef du peloton m’a fait savoir qu’on était là pour neutraliser le camp. » Cette neutralisation était déjà effective, a indiqué le mis en cause qui dit être par la suite envoyé en mission de reconnaissance sur différents axes de la ville dont celui qui débouche au rond-point de la Palestine et un autre au quartier Kolg-Naaba.  Et de détailler, à la demande du président, que cette mission de reconnaissance consistait à se rendre sur les lieux ci-dessus indiqués, y voir s’il n’y a pas d’activités suspectes, fouiller et revenir rendre compte. Albert Bélemlilga dit avoir été mobilisé pendant environ une semaine pour l’exécution de cette mission. Au cours de celle-ci, il a dû repartir au Conseil pour une dotation des engins motorisés en carburant.

L’accusé a tenu à préciser qu’il n’aurait pas participé à ces évènements si au terme d’une mission à Tenkodogo, le 2 octobre 1987, il était retourné à Pô où il était en poste. « Au cours de la mission à Tenkodogo, un de nos éléments est mort dans un accident. Je suis donc venu à Ouagadougou pour rendre compte au chef d’escadron. Et j’ai reçu l’ordre d’une mise au vert et ainsi mis à la disposition de l’équipe de volleyball », a-t-il détaillé.

« Gaspard Somé a dit avoir tué son chef de corps, Michel Koama »

Passées les questions du président du tribunal, le tour de parole est revenu au parquet pour ses questions et observations. La partie poursuivante a vite relevé un récit à la barre qui ne concorde pas avec celui déroulé en instruction. Au juge d’instruction Bélemlilga avait dit avoir plutôt reçu du chef de l’escadron, le lieutenant Tibo Ouédraogo, l’ordre de se changer et d’aller au camp CRS. Ce à quoi l’accusé a tenu à apporter une précision, indiquant qu’il est revenu sur certaines de ses déclarations tenues devant le juge lors de sa première comparution. « Je n’ai pas vu le lieutenant Tibo à la date du 15 octobre si ce n’est le lendemain, le 16. Ce jour-là, je l’ai vu sortir du conseil avec un véhicule conduit par son chauffeur et avec à bord deux policières parmi lesquelles la sœur du commandant Madou, l’ex-chef d’état-major de la gendarmerie. J’étais moi-même étonné », a expliqué l’ancien volleyeur.

En tentant de confondre davantage l’accusé, le parquet militaire s’est attardé sur un point de son récit  : sa rencontre avec Gaspard Somé dans la soirée du 15 octobre. Aux environs de 17h 30, alors qu’Albert Bélemlilga avait déjà reçu l’ordre de sa mission au Camp CRS, il a rencontré Gaspard Somé, son ancien camarade au lycée et alors membre de l’ETIR. « Gaspard m’a dit qu’il a tué son chef de corps, le commandant Michel Koama, et qu’il partait au conseil rendre compte. Au cours de cette même entrevue, il m’a informé que Sankara est mort ; m’a demandé ce que nous, nous avons fait au Conseil. Je lui ai répondu que nous n’avons rien fait», a fait savoir l’homme à la barre. Mais, selon l’accusation, c’est pour avoir agi en connaissance de cause que le mis en cause s’est fait complice d’attentat à la sûreté de l’Etat. Mieux, insiste le parquet, Albert Bélemlilga savait dès le matin du 15 octobre qu’un coup d’Etat se préparait d’autant que lui-même l’a affirmé : « Un militaire dont j’ai oublié l’identité m’avait défendu de me rendre au Conseil dans l’après-midi car ça n’allait pas être bon pour moi », a, en effet déclaré le mis en cause à la barre.

« Blaise Compaoré et Gilbert Diendéré sont les donneurs d’ordre »

Par des observations précédées de questions, la partie civile a, elle aussi, voulu démontrer que la culpabilité de l’accusé des faits de complicité d’attentat à la sûreté de l’Etat est établie.  Pour Me Julien Lallogo, difficile est de croire qu’en 45 minutes après l’assaut au Conseil, comme tente de faire croire l’accusé, il était possible de neutraliser la FIMAT. Et l’accusé de déduire que cela est bien possible avec un escadron motorisé dont les éléments pouvaient facilement se faufiler.

Pour Me Mamadou Coulibaly, conseil de l’accusé, l’accusation déduit la complicité d’atteinte à la sûteté de l’Etat au seul fait que le sergent Belemlilga se soit rendu au camp CRS. Ce qui ne tient pas la route, selon l’avocat, puisque son client n’a fait qu’exécuter un ordre émanant de son unité.

Au lieu de venir à la rescousse de l’accusé Bélemlilga, d’autres avocats de la défense ont plutôt utilisé leur temps de parole pour tirer d’affaire leurs clients respectifs. C’est le cas du conseil de Djakalia Démé qui a interrogé l’accusé sur les donneurs d’ordres dans la neutralisation de la FIMATS. Et ce dernier de répondre : « je n’en sais rien, mais les donneurs d’ordre ce sont nos supérieurs de l’époque, à savoir, le chef de peloton, Bernard Kaboré, le chef d’escadron, Tibo Ouédraogo, le chef de corps du CENEC, Blaise Compaoré et son adjoint Gilbert Diendéré ».

Après la suspension de 13 heures, l’audience s’est poursuivi avec les questions de la défense, puis l’interrogatoire de Dakalia Démé, ce co-accusé d’Albert Bélemlilga qui aurait pris part à la prise du camp CRS. Comme son prédécesseur à la barre, lui aussi a plaidé non coupable. Son audition se poursuit ce 16 novembre 2021, toujours à la Salle des banquets où l’audience reprendra à 9 heures.

Bernard Kaboré

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