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Fécondité en stagnation à Ouagadougou : des chercheurs lèvent un coin du voile sur les facteurs explicatifs

Depuis une vingtaine d’années, le taux de fécondité dans la ville de Ouagadougou est en stagnation. Pourquoi ? C’est la question à laquelle ont tenté de répondre une équipe de chercheurs de l’Institut supérieur des sciences de la population (ISSP) à travers une étude dont les résultats ont été présentés à des journalistes de l’Association des journalistes et communicateurs pour la population et le développement (AJC/PD) au cours d’un atelier tenu le 25 mai 2023 à Ouagadougou.

A la base de l’étude dont les résultats ont été présentés à l’AJC/PD, il y a ce constat saisissant: depuis 2003, soit une vingtaine d’années, fécondité (survenue de naissances au sein de la population à risque de procréer) est en stagnation (3,1 enfants par femme) dans la ville de Ouagadougou. Un taux qui reste relativement élevé selon les chercheurs pour qui, cela est loin d’être un fait du hasard.

Constituée de pas moins d’une demi-douzaine de personnes, l’équipe des chercheurs est parvenu à 4 facteurs explicatifs. Première esquisse d’explication : la contribution des femmes migrantes en provenance du milieu rural et qui s’installent dans les périphéries. Selon le Dr Moussa Bougma, coordonnateur de l’étude, ces femmes contribuent plus au maintien du niveau relativement élevé de la fécondité par rapport à celles nées à Ouagadougou. En se posant la question de savoir pourquoi ces femmes issues du milieu rural font plus d’enfants, les chercheurs ont découvert que cela est lié au profil socioéconomique. « Ces femmes sont parfois sans instruction, installées dans les périphéries où l’offre des services de santé est moins accessible et sont en union. L’absence de l’offre de santé, donc de la planification familiale, pousse celles-ci à faire des enfants plus que ce qu’elles en désirent », analyse le Dr Bougma.  

Le deuxième facteur, c’est la recherche de la mixité des enfants. Par mixité, il faut entendre le fait de vouloir à tout prix au moins un garçon et une fille parmi ses enfants. L’étude révèle par exemple que trois femmes sur 5 (64,8%) préfèrent avoir des enfants des deux sexes et que le désir d’enfants supplémentaires est moins fréquents chez les femmes ayant atteint la mixité. Généralement, le désir d’un garçon procède, selon les chercheurs, de la volonté de perpétuer la lignée familiale ou d’avoir quelqu’un sur qui compter. Pour la fille, le désir d’en avoir répond au besoin des travaux domestiques. Cela amène des parents à faire des enfants supplémentaires au-delà du nombre initialement désiré.

Le DG de l’ISSP, Abdramane Soura, espère que les résultats de l’étude aideront aux prises de décisions en matière de politique liée à la fécondité

Comme troisième facteur, le niveau élevé du taux de fécondité s’explique par le fait que les parents considèrent l’enfant comme un capital vieillesse. « L’enfant devient comme un investissement sur lequel on veut compter pour assurer ses vieux jours. De ce fait, nombreux sont les parents qui pensent qu’il faut en avoir beaucoup pour mieux profiter de son investissement », explique le Dr Moussa Bougma. Or, dit-il, plus le nombre d’enfants est élevé, moins on arrive à assurer leur éducation et leur santé, et plus le risque est élevé de ne pas bénéficier de ce qui est considéré comme de l’investissement.

Quatrième et dernier facteur explicatif de la stagnation de la fécondité : la faible participation des collectivités territoriales dans les actions d’accompagnement des femmes à mieux contrôler leur fécondité. Bien que des efforts soient consentis par les collectivités, les résultats de l’étude permettent aux chercheurs de dire que l’engagement des collectivités est à renforcer ;

Cette stagnation de la fécondité constitue-t-elle un danger ou une opportunité de développement ? Les chercheurs ne tranchent pas tout de suite sur cette question, mais s’accorde à dire que la menace pèse beaucoup sur la balance. « Ce qu’il faut se demander avec cette dynamique de la fécondité est de savoir si on arrive à faire une bonne planification de la ville. Le constat est que la moitié de la population Ouagalaise vit dans des zones périphériques dépourvues de services sociaux de base. On peut penser que trois enfants par femme c’est peu mais ce nombre global peut masquer des disparités, en estimant que les femmes qui s’installent dans les périphéries sont à 4 à 5 enfants chacune. Cela peut poser un problème si on n’arrive pas à assurer une bonne éducation à tous ces enfants. Il faut arriver à réguler la fécondité pour assurer une bonne planification de nos villes, ce qui évitera par exemple tous ces problèmes liés à l’accès à la terre

Le coordinateur de l’AJC/PD, Boureima Sanga

L’étude des chercheurs a abouti à des recommandations tant à l’endroit des populations qu’aux décideurs politiques. Les chercheurs préconisent la mise en place d’un dispositif d’accueil dans les zones périphériques en vue d’assurer l’intégration socioéconomiques des femmes migrantes.  Par rapport à l’assurance vieillesse, l’équipe de recherche suggère des campagnes de sensibilisation sur la nécessité pour les travailleurs de préparer leurs vieux jours dès leur jeunesse. La sensibilisation doit également porter sur la question de la recherche de mixité. « les parents doivent savoir qu’on peut uniquement avoir des filles ou uniquement avoir des garçons et s’en sortir mieux pour peu que l’on puisse véritablement s’occuper des enfants et préparer leur avenir. Recommandation est aussi faite aux autorités administratives d’intensifier les actions de sensibilisation à la planification familiale, toute chose qui permettra de mieux planifier les villes. Les chercheurs préconisent également que les couples aient un projet de fécondité. « Avant le mariage, l’homme et sa femme devraient choisir le nombre de leurs enfants en fonction de leurs moyens. L’implication de l’homme s’avère donc nécessaire dans les comportements de fécondité », estime Dr Bougma.  

Menée avec l’appui de l’Union internationale pour l’étude scientifique de la population (IUSSP), la présente étude a mobilisé différentes données, dont des données de routine de l’Observatoire de la population de Ouagadougou (OPO). Le public cible est constitué de femmes en âge de procréer. Un peu plus de 40 000 femmes dont 44,5% d’immigrantes ont été prises en comptes dans les analyses.

En présentant les résultats de l’étude aux journalistes de l’AJC/PD, les chercheurs de l’ISSP s’inscrivent dans un processus de dissémination de résultats d’études. L’atelier de Ouagadougou, selon le coordonnateur de l’AJC/PD, Boureima Sanga, permettra aux journalistes de disposer d’informations vérifiées et solides leur permettant de mieux informer le public sur le sujet.

Bernard Kaboré

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