Société

Durée de la Transition au Burkina : le Conseil national des OSC préconise 3 ans

Excellence Monsieur le Président du Faso,

Le 24 janvier 2022, à la tête du Mouvement patriotique pour la sauvegarde et la restauration (MPSC), vous avez instauré un ordre politique nouveau au Burkina Faso avec pour ambition de fédérer l’ensemble des énergies du pays, « pour jeter les bases d’un Burkina Faso nouveau, débarrassé des oripeaux d’une gestion politique aux antipodes des nouvelles aspirations de notre peuple. » Ce processus place l’ensemble du peuple burkinabè sur la voie d’une transition politique qui constitue une opportunité pour réconcilier les filles et fils du Burkina Faso et construire ensemble et par elles-mêmes les ambitions du développement auquel il aspire aussi bien dans les centres urbains qu’en milieu rural. C’est en cela que vous appelez les forces vives de la Nation à se mobiliser et à accompagner le MPSR et le processus de transition par leur intelligence, leur patriotisme, leurs énergies pour un Burkina Faso de demain meilleure qui prend en compte l’agriculteur du milieu rural, les femmes et les jeunes dans la marche de la Nation.

En harmonie avec cet appel, le Conseil national des organisations de la société civile (CNOSC) du Burkina Faso, une faîtière organisée du niveau national jusqu’à l’échelle communale en passant par les échelons régional et provincial, propose sa pierre à l’édification du processus de transition. Cet apport, conjugué avec d’autres contributions, aidera à la prise de décisions pour des meilleures approches et stratégies en vue de la réussite de la transition engagée. Le présent mémorandum est élaboré à cet effet et s’inscrit dans les grands axes prioritaires tracés par vous et déclinés dans votre discours d’installation de la Commission technique d’élaboration des projets de texte et de l’agenda de la transition du 08 février 2022.

Il est structuré comme suit :

-la restauration de l’intégrité du territoire national ; 

-la consolidation de la paix ;

-la bonne gouvernance ;

-le retour à l’ordre constitutionnel nouveau.

I. DE LA RESTAUTRATION DE L’INTEGRITE DU TERRITOIRE NATIONAL

La crise de sécurité que connaît notre pays depuis 2015 – 2016, caractérisée par des attaques terroristes contre les populations civiles et militaires ont contraint les populations dans plusieurs régions à fuir leurs villages d’origine pour se réfugier dans d’autres localités du pays relativement mieux sécurisés. On estime actuellement à environ deux millions (2 000 000) de personnes qui sont dans cette situation, composées surtout de femmes et d’enfants d’une part et d’autre part de jeunes, de personnes âgées et de personnes vivant avec des handicaps divers. La gestion de ces cas est complexe et requiert des mesures fortes et des solutions durables pour la restauration de l’intégrité du territoire national, d’un côté et le retour des personnes déplacés dans leurs villages dans des conditions durables, de l’autre. S’agissant de la restauration de l’intégrité du territoire national, il sied d’adopter deux stratégies fondamentales: la cohésion au sein des forces de défense et de sécurité et la mobilisation des populations civiles à travers des décisions et mesures chocs qui placent les citoyennes et citoyens dans un Etat de guerre pour la libération du territoire national à travers des comportements qui sont en phase avec la situation. Il faut alors un leadership fort au plus haut niveau de l’Etat pour galvaniser les populations nationales en position de marche pour la libération du pays.

Le MPSR devrait alors insuffler ce dynamisme et ce leadership à l’image de du Conseil national de la Révolution (CNR) entre 1983 et 1987. Le retour de « La Patrie ou la Mort, nous Vaincrons » dans le discours officiel du PMSR ne doit pas être un vain mot mais doit augure d’un engagement populaire nouveau face à la lutte contre le terrorisme. Cet engagement populaire ajouté aux stratégies qui seront mises en place par les forces armées nationales et les forces de sécurité intérieure constitueront un gage pour la restauration effective de l’intégrité du territoire et le retour effectif et progressif des populations déplacées dans leurs localités d’origine.

Concernant le retour des déplacées, le processus devra être construit sur la base des solutions durables qui favorisent leur retour et consolident progressivement leur vie au quotidien et leur capacité de résilience.

A cet effet, les acteurs clés devra aussi être mis à contribution dans tout le processus de préparation, de retour et d’installation des déplacés. Il s’agit de l’Etat, à travers ses structures appropriées, les acteurs humanitaires et de développement. Le processus pourrait être matérialisé par la création d’un cadre de concertation entre ces acteurs du processus afin de bien cerner les conditions de durabilité de retour des déplacés. En tenant compte des conditions de durabilité, il sied que l’Etat encadre cela avec un texte législatif ou réglementaire régissant la gestion des déplacées internes sur toute la chaîne et les rôles et responsabilités des acteurs.

Pour le volet installation ou réinstallation des déplacés, trois options pourraient être envisagées pour les déplacés :

1. s’assurer que chaque village ne présente pas un danger pour le retour des populations du fait des risques que les groupes terroristes pourraient avoir transformé le village en champ de mines ou en tout autre piège ;

2. promouvoir des initiatives pertinentes et acceptées selon les réalités culturelles de chaque localité en vue de créer les conditions de résilience des communautés ;

3. mettre en place des programmes de développement durables, déclinés en besoins spécifiques des femmes et des jeunes qui ciblent les villages fortement éprouvés par la situation sécuritaire.

II. DE LA CONSOLIDATION DE LA PAIX

Le processus de recherche de solutions durables pour les personnes déplacées n’est pas à dissocier de celui de la consolidation de la paix, de la cohésion sociale, du développement du Burkina Faso en prenant en compte les potentialités et réalités de chaque région. A cet égard, le MPSR devra veiller sur l’effectivité des piliers qui fondent et consolident la République et la concorde nationale. Il faut alors identifier les principaux obstacles à la réalisation de la cohésion sociale et les solutions durables pour l’effectivité de la consolidation de la paix. Les secteurs suivants devront être privilégiés : la sécurité et la sûreté de l’Etat, l’accès et la confiance à la justice, l’accès aux services sociaux de base, comme la santé, l’éducation et la sécurité alimentaire y compris le crucial problème du foncier et la redistribution équitable des fruits de la croissance. Il en résulte que l’injustice, la corruption, le sentiment d’incapacité de l’Etat à sécuriser les populations, les privilèges déséquilibrés accordés aux populations des grands centres urbains au détriment de celles du milieu rural nourrissent et entretiennent la désunion et par conséquent, exposent le pays à toutes formes d’insécurité.

Le futur nouveau auquel le peuple burkinabè aspire désormais doit alors mettre sur pied une République nouvelle, caractérisée par :

– une justice efficace dans la gestion des dossiers judiciaires, moins coûteuse et débarrassée de toutes formes de corruption ;

– une réconciliation effective et réussie qui met en avant les familles des victimes de l’injustice de l’Etat;

– une efficacité sur le plan opérationnel dans la sécurisation du territoire national qui inspire confiance aux populations vis-à-vis de leurs dirigeants ; une réforme profonde de la gestion du foncier ;

– une dépolitisation de la chefferie traditionnelle et coutumière (à travers l’adoption d’un texte législatif qui interdit les amalgames politico-coutumiers), des services de l’Etat et du monde des organisations de la société civile. Pour le cas des organisations de la société civile, interdire dans les textes des partis politiques des postes de responsables chargés des relations avec les organisations de la société civile.

III. DE LA BONNE GOUVERNANCE

Le Burkina Faso a toujours intégré le concept de bonne gouvernance dans ses politiques de développement. Les gouvernements successifs ont élaboré et mis en œuvre des plans et politiques de bonne gouvernance, depuis 1998. En dépit des acquis résultant des actions menées, elle demeure une sérieuse préoccupation. Actuellement, le pays a adopté une Stratégie nationale de promotion de la bonne gouvernance pour la période 2018 – 2017 portée par le ministère en charge de la Fonction publique. Cette stratégie s’est donné pour vision de faire du Burkina Faso « un d ’ Etat de droit démocratique, fondé sur des institutions fortes, respectueux des principes de bonne gouvernance pour un développement harmonieux et intégré à l’horizon 2027 ». L’objectif visé est de promouvoir les principes de bonne gouvernance dans la mise en œuvre des actions de développement. La période de transition pourra s’appuyer, entre autres, sur les éléments clés de la vision de la Stratégie nationale 2018 – 2027 pour bâtir un nouveau Burkina Faso doté d’institutions fortes qui s’imposeront désormais à tout gouvernement qui sera mis en place. Ainsi, ces institutions imposeront et feront respecter avec rigueur les principes sacrés de bonne gouvernance marquée par l’intégrité, le patriotisme et l’honnêteté.

Les institutions fortes devront prendre en compte une lutte efficace contre la corruption, l’incivisme, la défiance de l’Etat et la dépolitisation totale de l’administration publique. La compétence, le mérite, la transparence et la redevabilité devront être aussi les traits caractéristiques de bonne gouvernance.

Tout cela n’est donc possible que s’il existe des institutions fortes, exemptes de modifications à souhait par tout gouvernement qui se met en place. C’est dire que l’autorité de l’Etat doit être reconstruite pour le nouveau Burkina Faso souhaité. Les intentions de promotion de bonne gouvernance consignées dans les référentiels nationaux sans résultats concrets doivent être proscrites. La bonne gouvernance doit désormais être réfléchie selon les réalités du Burkina Faso et éviter des critères de bonne gouvernance calquées sur des modèles occidentaux. Il faut alors mettre à contribution les intelligences et expertises nationales pour construire le modèle de bonne gouvernance burkinabè.

IV. DU RETOUR A L’ORDRE CONSTITUTIONNEL NOUVEAU

Pour les acteurs de la démocratie et du conseil constitutionnel ou les institutions communautaires et internationales, le Burkina Faso doit établir d’urgence un calendrier pour un retour à l’ordre constitutionnel normal. Cependant, on aura noté qu’il s’agira du retour à un ordre constitutionnel nouveau. Le Conseil national des organisations de la société civile du Burkina Faso est en phase avec vous concernant le mot NOUVEAU qui se substitue au vocable NORMAL. En effet, il faut rompre à cette conception d’ordre normal, c’est-à-dire l’organisation des élections dites démocratiques qui souvent légitiment et légalisent la mauvaise gouvernance et organisent le pillage des biens de l’Etat. Ainsi, l’ordre nouveau signifierait que les élections ne sont pas nécessairement des éléments constitutifs d’un ordre démocratique mais la prise en compte d’autres considérations qui consolide la bonne gouvernance et la réalisation continue des aspirations du peuple aussi bien des villes que des campagnes. En effet, selon l’ordre actuel, les élections sont considérées, comme étant libres et transparentes lorsque l’on y compté des observateurs extérieurs dont la mission d’observation de la plupart ne dépasse pas la zone de leur hôtel, suivie d’un format de déclaration avec le même contenu avec le changement de nom du pays et les dates des élections. Nombre d’élections ne reflètent donc pas l’expression de la volonté populaire. L’ordre nouveau doit alors réécrire le type de démocratie qui traduit les réalités du Burkina Faso afin d’éviter à l’avenir l’intervention de l’Armée pour suspendre les processus démocratiques presque imposés au peuple. C’est dire qu’il faut un système électoral nouveau.

AUTRES PROPOSITIONS

Outre les grands axes prioritaires que vous avez tracés, d’autres propositions sont ici formulées et portent sur les organes de la transition, le chronogramme de la transition et les valeurs du Burkinabè à promouvoir.

Des organes de la transition

Le coup d’Etat du 24 janvier 2022 a conservé les acquis démocratiques qui seront consolidés avec la contribution de la transition. A cet égard, deux organes pourraient être retenus :

1. le gouvernement ;

2. un conseil national de transition.

Il est naturel que le gouvernement soit maintenu afin de garantir la continuité de l’Etat et porter les grands chantiers des réformes que la transition viendrait à engager. Toutefois, le nombre de départements ministériels devra se situer entre 20 à 27 maximum. Ils seront appuyés par des directions générales avec le seul souci de rendre les ministères plus efficaces. Le Conseil national de la Transition (CNT), à l’image de celui de la transition de 2014, sera mis en place afin de prendre en charge les questions législatives, surtout les réformes qui nécessitent l’adoption de lois. Toutefois, le nombre de membres du CNT devrait être compris entre 50 à 60 maximum. Dans la logique de patriotisme que veut imprimer le MPSR et dans la construction du Burkinabè nouveau voulu, le travail de membre du CNT devra s’inscrire dans ce patriotisme. Ainsi, l’idée de salaires de député doit être remplacée par des indemnités et des frais de mission si besoin est. Toutefois, les moyens conséquents doivent être mis à la disposition des assistants parlementaire afin de créer les meilleures conditions de la production parlementaire. Du chronogramme de la Transition.

Le chronogramme de la transition s’entend la durée de la transition avant le retour à un ordre constitutionnel nouveau. Au regard de l’expérience de la transition de 2014 – 2015 et des leçons qu’on en tire, une durée de trois années serait indiquée afin de traduire en actes concrets les sillons de la refondation de la République avant le retour à l’ordre nouveau. Des valeurs du Burkinabè

L’Homme intègre forgé par le Conseil national de la révolution (CNR) du président Thomas Sankara, en s’inspirant des valeurs cardinales de nos sociétés traditionnelles, a aujourd’hui perdu de son lustre transformant le Burkinabè en un être incivique, adorant la médiocrité, l’impunité, le népotisme, la corruption et dans certains cas la malhonnêteté. Ces

traits déshonorants se retrouvent dans tous secteurs d’activités : administration publique, secteur privé, forces de défense et de sécurité, organisations de la société civile, justice. La tendance doit être inversée afin de recouvrer la dignité d’Homme intègre qui faisait la fierté de toute la Nation à l’intérieur et à l’extérieur du pays pendant la période révolutionnaire. Cette promotion de valeurs doit être incarnée par un leadership fort au plus haut sommet de l’Etat par l’exemplarité qui entraine la conscience populaire pour la reconquête des valeurs de paix, de solidarité, d’intégrité perdues par les Burkinabè du fait de l’instauration d’un système de gouvernance basée sur les affaires et la gestion scabreuse impunie des affaires de l’Etat durant plus d’une vingtaine d’années.

Excellence Monsieur le Président du Faso,

A travers ce mémorandum, il s’agit pour le Conseil national des organisations de la société civile du Burkina Faso de vous interpeller pour incarner ce leadership fort au sommet de l’Etat par des messages forts sur le Burkina Faso nouveau à construire. Ce mémorandum traduit aussi l’engagement de la faîtière nationale des organisations de la société civile à avancer avec les forces vives de la Nation pour réaliser les objectifs et les aspirations pour lesquels le MPSR s’est vu obliger d’intervenir dans les affaires de l’Etat. La cause est commune et les sacrifices de chaque Burkinabè sera la clé du succès.

Je vous prie d’agréer, Excellence Monsieur le Président du Faso, l’expression de ma très haute considération.

Ouagadougou, le 13 février 2022

Le Président du Conseil national des OSC du Burkina Faso

Jonas HIEN

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