Defense & Sécurité

Situation sécuritaire à Madjoari : «Pour nous, le vrai terroriste c’est l’Etat, ce ne sont pas ceux-là qui sont dans la brousse», Mahamoudou Ouoba

Mahamadou Ouoba, ex-maire de Madjoari

Après les appels à l’aide des responsables communaux sur la situation sécuritaire et humanitaire à Madjoari, une autre voix, et non des moindres, appelle aussi au secours. Mahamadou Ouoba, puisque c’est de lui qu’il s’agit, ancien maire de Madjoari, dans cette interview réalisée le 17 juillet dernier, parle d’un ton pathétique de la triste réalité de la situation de la commune qu’il a dirigée.

Quelle est la situation actuelle de Madjoari, en matière de sécurité ?

Il n’y a pas de qualificatif assez fort pour la décrire. Je dirai simplement que Madjoari a été abandonnée. La population a été abandonnée à elle-même.

Abandonnée, c’est-à-dire ?

Avez-vous sillonné un peu les différents sites abritant les déplacés internes? Sur les 15000 habitants que compte la commune, si nous avons plus de 12000 personnes  qui sont dans la nature, qu’est-ce que nous pouvons dire ? Ce n’est pas  une situation nouvelle. Je pense qu’elle a commencé depuis 4 ou 5 ans. Nous avons alerté l’Etat central, le gouvernement. Nous avons eu, rien que l’année surpassée, une dizaine d’élèves qui ont été enlevés. Nous avons alerté le gouvernement ; rien n’a été fait. Nos autorités, sur notre situation sécuritaire déplorable, font la sourde oreille.

Ces élèves, vous ne savez pas ce qu’ils sont devenus ?

Jusque-là, on ne sait pas là où ils sont. En résumé, nous pouvons dire qu’ils sont morts parce que quand nous voyons ce qui se passe, nous ne pouvons dire que ces enfants vivent encore. C’est dommage. Madjoari est complètement abandonnée.

Mais qui en veut à Madjoari et qui s’en prend à Madjori ?

Pour nous c’est l’Etat. Je ne parlerai pas de terroristes. C’est l’Etat, parce que l’Etat est complice, je le dis haut et fort. Quand on a un voisin et que dans cette famille voisine, il y a une situation déplorable qui survient, vous partez assister cette famille ou vous rester sans rien faire ? Si vous ne faites rien, vous êtes complice. L’Etat est en partie responsable, les djihadistes ne sont plus un problème, c’est l’Etat qui constitue un problème, puisqu’il est le garant de la sécurité des populations, nous n’en voulons plus aux terroristes.

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Si l’Etat est le problème, pour vous c’est quoi la solution ?

S’ils ont pris le pouvoir, la solution leur appartient. Même moi qui ne suis qu’un simple citoyen, la solution est très simple, c’est d’assister les populations.

Vous voulez dire par là que la population n’est pas assistée ?

Pas du tout ! Ni le préfet, ni le haut-commissaire, personne n’a mis le pied sur les différents sites de déplacés. Ces visites devraient être  la base de l’assistance. En réalité, dès les premiers moments, quand on a commencé à évacuer les populations, on s’attendait à ce que le haut-commissaire vienne. Malheureusement on n’a pas vu le haut-commissaire, encore moins le gouverneur, les ministres, on ne parle pas du Président du Faso.

Nous voyons ce qu’il se passe en Europe, puisque nous copions l’Europe, quand il y a un mort, deux morts, les premiers responsables, même le président de la république intervient à la télé, mais qu’est-ce qu’il a fait ? Ce qui se passe à Madjoari, c’est ce qui se passe un peu partout dans tout le Burkina. Il n’y a pas d’assistance de l’Etat aux populations, c’est du laisser-aller et pour nous, le vrai terroriste, c’est l’Etat, ce n’est pas ceux-là qui sont dans la brousse, je pèse mes mots.

Qu’attendez-vous de l’Etat ?

S’ils nous écoutent, ils savent ce qu’on attend d’eux. Nous avons perdu combien de personnes à Madjoari ? La plupart sont actuellement au Bénin, au Togo. Partez au Bénin vous allez voir comment ils sont assistés là-bas. Les ministres sont venus, tous les organismes qui interviennent dans l’humanitaire sont présents, ils sont bien servis, ils sont bien gardés, ils ne se plaignent pas. Mais chez nous qu’est-ce qui se fait ? C’est regrettable d’avoir un gouvernement pareil.

Ça fait combien de temps vous êtes à Pama ?

Je suis là, je réside ici. Je suis de Madjoari mais je réside à Pama.

Dans ce conflit, avez-vous déjà eu une perte directe ?

Parmi les 11 élèves enlevés, 4 sont mes cousins directs. La dernière fois le conseiller de Kodjaori qui a été égorgé chez lui à la maison, c’est un proche, c’est un oncle, on a eu tellement de pertes. Même ceux qui se sont déplacés de Madjoari à Nadjagou, il y a eu tellement de morts sur la voie, Madjaori n’est pas une grande commune comme ça, on se connait, nous sommes des parents. Il y a mon oncle direct maternel qui a été enlevé il y a peine 1 mois, nous ne savons pas s’il vit encore. Les pertes on ne peut pas les dénombrer. On ne parle plus de perte à l’heure actuelle, je ne sais pas comment qualifier ce qui se passe à Madjoari. En réalité, il n’y a plus Madjoari, la commune n’existe plus que de nom. Si une commune se perd de la sorte, ça veut dire que l’Etat aussi n’existe pas. C’est un devoir pour l’Etat de garantir la sécurité des populations et c’est pour cela que des responsables ont été élus. Aujourd’hui nous ne parlons plus de l’Etat burkinabè, c’est dommage parce que nos populations sont plus assistées au Bénin qu’au Burkina Faso et c’est ce qui me fait le plus mal.

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Quel appel vous lancez au Gouvernement ?

Avant même que je ne parle, ils savent l’appel que je vais lancer parce qu’en réalité, actuellement, le seul appel que nous lançons c’est d’intervenir le plus tôt pour que ces terroristes dégagent de la zone; condition nécessaire  pour que les populations puissent regagner leurs terres. C’est tout ce que nous demandons au gouvernement, s’ils  veulent bien-sûr  le faire. A l’heure actuelle, nous avons perdu tout espoir.

Propos retranscrits par Camille Baki

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